Appel à don pour une ambulance partisane

L’association a été créée pour offrir un accès aux soins autonome, gratuit et de qualité, mais aussi pour assurer formation et transmission lors de rencontres autour de notre rapport et pratiques du soin. La vitesse à laquelle se répandent les déserts médicaux, l’accroissement de l’armement policier, la gravité des blessures qu’il entraîne, ainsi que la gestion de plus en plus décomplexée et violente des personnes aux frontières rendent notre action toujours nécessaire.

Peux-tu nous expliquer comment est né le projet d’ambulance partisane ?

Le projet est né aux alentours de 2012, au cours d’une réunion nationale sur le soin et la psychiatrie sur le plateau de Millevaches. Je rencontre une personne qui est davantage que les autres dans une démarche militante, en tous cas une démarche qui se rapproche plus de la mienne et nous sympathisons.
Il se trouve que nous disposions à ce moment-là d’une somme d’argent importante que nous voulions investir dans un projet. Plusieurs idées émergent – certaines plus réalistes que d’autres : nous avions évoqué l’idée d’un centre de soin… – et cette amie a l’idée d’une ambulance pour améliorer et renforcer la qualité des soins sur les luttes politiques telles que celles qui se mènent à la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes ou en Val de Susa, ou encore dans les manifestations de rue.
Il se tenait depuis quelques années, nationalement, des réunions régulières de réflexion autour du soin, c’est donc dans ce contexte que ce projet d’ambulance a pu être discuté.
Il a fallu environ un an et demi pour créer l’association, acheter l’ambulance, etc.

L’idée première du projet, c’est de renforcer l’autonomie de la lutte. Et un des pans de cette autonomie c’est le soin qu’on y apporte : pas juste soigner les blessures, c’est aussi soigner l’ambiance de la lutte, soigner les liens entre les gens qui luttent et l’assise propre aux luttes.
Ça permet du coup pour des gens qui ne se sentent pas hyper bien dans la confrontation en manifestation de trouver une forme d’engagement, notamment par le biais des « médic team ». Ou encore de rassurer l’engagement de ceux qui vont davantage à l’affrontement, parce qu’il y a ceux derrière qui peuvent les soigner s’ils sont blessés ou les exfiltrer s’ils sont dans des situations compliquées. Ça permet de modifier un peu l’espace de la lutte, de le rendre plus accueillant et parfois de lever des impasses subjectives : par exemple « moi je ne peux pas m’engager dans une lutte parce que je n’ai pas une âme d’émeutier. »
L’ambulance a par exemple pu intervenir à Paris en 2016 pendant le mouvement contre la Loi Travail, lors des manifestations Nuit Debout place de la République.

Pour l’équipement de l’ambulance, on avait trouvé une expression : le soin en milieu hostile. Ça permettait d’élargir la pratique du soin et la politique qu’elle porte à des endroits qui ne sont pas explicitement rattachés à de la lutte. Notamment, la situation des réfugiés en France.
Par exemple dans la jungle de Calais : c’était une situation qui était de fait politique parce que l’État y ménageait, pas vraiment son absence, mais la façon dont il rendait impossible la vie pour les gens là-bas.
On a donc été amené à élargir la catégorie du soin pour la lutte, au soin en milieu hostile.

L’équipement, c’est pour du premier secours ou du premier secours amélioré. Ça permet à des gens de se former, à des gens qui sont un peu formés aux premiers secours de pratiquer, à la hauteur de ce qu’ils savent faire : du pansement, donner des dolipranes, voire des soins plus poussés.
Mais donc l’ambulance c’est un espace où l’idée c’est qu’il y ait en permanence du matériel de disponible, en bon état, au sec – parce que c’est aussi le désavantage des tentes médics par exemple dans des endroits comme la ZAD.
Il y a des gens parmi ceux qui l’utilisent qui ont des formations professionnelles mais il y en a aussi qui se sont formés de manière informelle, pendant les réunions nationales sur le soin, à recoudre des plaies par exemple.
Il y a eu quelques moments de formation aussi via l’ambulance.
Dans l’ambulance on a donc une petite pharmacie, qui va jusqu’au défibrillateur.

L’activité est légale, on est reconnu juridiquement en tant qu’association, l’une d’entre nous a une assermentation de la Croix Rouge.

Est-ce que tu pourrais nous raconter un épisode d’intervention de l’ambulance qui t’a marqué ?

Je peux raconter l’exemple de la jungle de Calais. On y est allé au printemps 2016, pendant le mouvement contre la Loi Travail. On était cinq personnes dont un qui y était déjà allé et qui avait donc une idée du matériel dont on aurait besoin sur place. On est resté une semaine là-bas.
La jungle c’était un contexte compliqué parce que c’était une zone de non droit dans laquelle l’État était bien content qu’il y ait des associations pour faire le travail que certains réclamaient qu’il fasse. Notamment l’État anglais, la plupart des associations sur place étaient anglaises.
L’intérêt de venir à Calais c’était différent des lieux de luttes. Il y avait cette intuition qui était de se dire, il y a des gens là qui sont dans la merde et qui luttent pour leur survie et aussi, la raison pour laquelle ils sont dans cette merde-là elle est profondément politique. Il s’agissait pour nous un peu de vérifier cette intuition-là.
Ce qu’on avait apporté du coup c’était lié aussi aux conditions de vie sur place : problèmes d’hygiène, donc beaucoup de paracétamol pour les maux de tête, pour les douleurs en tous genres, du sirop pour la toux, des traitements contre la gale, etc.
Beaucoup de produits d’hygiène sont donnés par les associations mais le soin c’est plus compliqué que ça : parce que ça se pense avec un milieu, tu traites le milieu en même temps que la personne. Le problème de Calais, c’était que c’était un milieu infecté et, en cela, difficile à traiter. J’ai jamais vu autant de rats, de déchets, etc.
Mais l’expulsion de la jungle, c’était pas une manière de traiter le milieu, c’était d’y mettre clairement et simplement une fin.
C’était pas complètement déserté par le soin, il y avait quand même une caravane d’une association anglaise où il y avait de jeunes internes en médecine qui venaient travailler et une sorte d’hôpital de fortune.
Ces médecins en général c’était quand même des militants.
On avait choisi, vu qu’il y avait déjà cette caravane qui fonctionnait bien, avec des gens plus compétents que nous, d’intervenir dans les moments où eux n’intervenaient pas. La caravane fonctionnait de 9h à 18h et on prenait le relais de 18h à 3h du matin. Et c’était le moment important parce que certaines personnes ne sortaient qu’à partir de cette heure-là et c’était aussi le moment où, vu qu’il faisait nuit, des gens tentaient de passer. Ce qui suppose d’escalader le grillage, de se planquer dans des trucs, de fuir les flics, de passer à travers les gazs, de résister aux coups de matraque, donc des mises en danger, et donc des gens qui reviennent parce qu’ils ont été coupé par un barbelé à la main ou qu’ils ont trop marché et que leurs pieds sont douloureux, etc.

Est-ce que le fait d’avoir cette ambulance dans ce contexte ça pouvait permettre des rencontres ?

Oui, ça a permis de rencontrer par exemple un jeune médecin anglais, avec qui on a pu échanger sur la situation. Mais aussi des migrants, d’abord parce qu’on avait besoin de traducteurs, certaines personnes ne parlaient que pachtoune ou arabe. Et puis aussi parce que ça faisait une présence identifiable, rassurante. On a eu beaucoup à faire de la « bobologie » par exemple : des gens que juste ça rassurait d’être un peu avec nous. On voyait qu’ils n’étaient pas malades mais en détresse, et ça permettait un échange. Les enfants par exemple venaient beaucoup de cette façon-là.

Et puis les deux femmes qui étaient dans l’équipe et sont allées à la rencontre des femmes sur place. Parce qu’elles sortaient très peu, l’extérieur étaient dangereux pour elles.

Est-ce que ça vous permettait un peu de voir l’organisation politique au sein de la jungle ?

Ce qui rythmait beaucoup la vie sur place c’était la pratique religieuse et notamment l’Islam. On y était à la période du ramadan. Ceux qu’on avait souvent comme interlocuteurs c’était les imams, ils avaient vraiment un rôle de médiateur. Une très large majorité de migrants les investissaient comme interlocuteurs officiels.
On n’a pas vu d’organes de décisions, il y avait beaucoup de conciliabules, des groupes de personnes, soit par âge, soit par quartiers qui se retrouvaient ou des discussions avec les imams qui suivaient les prières.
Pour le coup, la vie religieuse là-bas donnait aussi une hygiène de vie hyper importante. Notamment l’alcool qui circulait très peu par exemple, il n’y avait pas de beuveries. Puis avec les prières, il y avait tous les rituels de purification qui maintenaient un niveau d’hygiène.

Comment le projet de l’ambulance a été financé jusque là ?

En dehors des moments de lutte, l’ambulance a pu participer à des formations aux premiers secours dans des écoles ou des associations ou encore auprès de camarades, qui ont permis de financer un peu le projet.
Des amis ont organisé des soirées de soutien, en Suisse ou à Lyon par exemple. Il y a même eu une formation aux premiers secours en manif à Rouen !
Et sinon, l’Association de Soin Intercommunale (ASI) a intégré un fond de dotation du plateau de Millevaches, « La Solidaire », qui lui assure un revenu annuel.
Mais on refuse de toucher les subventions publiques par cohérence politique. Et puis le risque souvent avec les subventions publiques, c’est de devoir rendre des comptes sur tes activités, etc.

Le projet de l’appel à don, c’est donc de renforcer l’activité générale de l’ambulance, avoir du matériel de qualité, en quantité suffisante, etc.

Quels sont les projets à venir de l’ambulance ?

Il y a plusieurs axes :
– Renforcer l’intervention auprès des migrants, notamment dans la vallée de la Roya, près de Vintimille.
– Mettre à disposition l’ambulance à des équipes médic qui en ont besoin sur des événements ou des séquences conflictuelles un peu longues comme par exemple à la ZAD ou à Bure.
– Une approche plus liée à l’enquête, à la recherche : pouvoir rencontrer des personnes qui travaillent dans les hôpitaux et chercher des solidarités dans ces milieux-là.

Pour participer à l’appel à dons, il ne reste plus que quelques jours, rendez-vous ici.

Publiez !

Comment publier sur A l’ouest - Site coopératif d’informations locales et d’ailleurs, sur Rouen et alentours?

A l’ouest - Site coopératif d’informations locales et d’ailleurs, sur Rouen et alentours n’est pas qu'un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail alouest@riseup.net