Le compteur Linkill.

Chapitre 2.

Profitant de cette excellente humeur qui, inexplicablement, ne se dissipait pas, Gabriel décida de faire une petite balade rue Popincourt. Cheryl serait peut-être pile sur le point d’aller déjeuner, va savoir. Il pensait à elle et à « La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur » : les yeux n’étaient pas ce que Cheryl avait de plus courbe, s’amusa-t-il. Il était midi passé de quelques minutes quand il arriva au salon de coiffure. Les lumières étaient éteintes, si bien qu’il faillit croire qu’elle était déjà partie et passer son chemin.

Un cri soudain, en provenance de la boutique l’arrêta net. Se collant à la vitrine, il ne put rien distinguer d’inhabituel, à part que les deux grandes photographies de modèles avaient été changées. Un second cri, immédiatement suivi, celui-là, de l’ouverture de la porte du vestiaire et de la sortie de Cheryl. Elle vit Gabriel à travers la vitrine et le désigna d’un doigt rageur. Il entra, mais cette fois, en prenant bien garde d’effacer toute trace de sourire benêt.

« Ils se foutent de ma gueule ! suffoqua la sublime blonde en tendant au Poulpe une lettre à en-tête. Ses yeux firent le point sur un logo inconnu – le second de la journée – Enedis. Il écarta le papier : ses yeux préféraient accommoder sur Cheryl qui, même rouge de rage, portait bien le cache-cœur rose.
« C’est EDF. Enfin, ils ont changé de nom, mais c’est EDF, expliqua-t-elle ».

Intrigué, Gabriel revint au courrier. Deux rencontres dans la même matinée. Pour un peu, on se serait cru au début d’un polar.

« Madame, disait la lettre.

  • C’est à cause du compteur, intervint la dame en question. Ils ont des nouveaux compteurs. Linky, ils s’appellent. Ils te le vendent comme un...
  • Oui, une intelligence supérieure au service de tes économies. Je connais, ajouta-t-il, mystérieux, en reprenant sa lecture.
  • Par votre courrier du 09/07, vous nous avez fait part de votre souhait de ne pas bénéficier du nouveau compteur Linky. Je souhaite donc, en réponse, vous apporter les précisions suivantes. Tout d’abord, je vous informe que l’article 13-III de la loi du 9 août 2004 stipule que le libre accès à votre compteur d’électricité est nécessaire pour qu’EDF soit en mesure d’accomplir ses missions. Ne pas donner libre accès à votre compteur vous placerait en écart par rapport à la Loi. »

Gabriel n’avait pas besoin de lever les yeux du courrier pour savoir que Cheryl n’hésitait pas une seule seconde à se placer en infraction par rapport à n’importe quelle loi lorsqu’elle l’avait décidé. Les signaux lumineux du Poulpe étaient tout allumés : se cacher autant derrière la loi était incroyablement suspect. Si ce n’était comme criminel, du moins comme construction psychique.

« En ce qui concerne plus spécifiquement votre interrogation, sachez que vos données vous appartiennent. Les distributeurs d’électricité sont soumis à une obligation de protection des informations commercialement sensibles et à une obligation de protection des données personnelles. »

Gabriel abandonna les pitoyables justifications de cet anonyme du service client.

  • Aie confiance, murmura-t-il en sifflant comme un serpent.
  • Tu as lu la fin ? insista Cheryl.
  • Demeurant à votre écoute, je vous prie de recevoir, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées. »
    Aïe.

Une couille numérique dans le potage du logiciel. Monsieur Service Client ignorait qu’aujourd’hui des femmes payaient seules leurs factures ? Ou au contraire, déconstruisait-il sans cesse le genre, permettant à une « Madame » de devenir un « Monsieur » le temps de la lecture d’un lettre ? Cheryl ne semblait pas disposée à en rire.

« Ils vont voir comment il va les recevoir le monsieur, bougonna-t-elle en sortant une batte de base-ball de derrière le comptoir. »

Le Poulpe enroula un de ses grands bras autour de sa taille et se félicita de s’y connaître mieux que le mystérieux rédacteur du courrier.

A suivre.

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