Le compteur Linkill

Chapitre 4.

Gabriel arrivait presque à son hôtel et à bout de ses réflexions quand il remarqua cette importune présence derrière lui. Pas de quartiers pour les fâcheux, décida-t-il. Il ralentit devant le premier café qu’il croisa et jeta un œil discret derrière lui. Rien de spécial. Un couple souriant, un clochard immobile au carrefour, une petite fille asseyant de force un chien à sa place dans sa poussette. Le mieux était encore d’inviter clairement son fâcheux à la rencontre. Il entra donc dans le café, s’attabla face à l’entrée. Il était prêt. Il ne savait pas s’il devait se réjouir de la situation ou s’en agacer. Sa curiosité voulait la confrontation, son désir de tranquillité le repos et la solitude. Qu’avait-il fait au bon Dieu des poissards pour qu’une affaire sordide s’invite à chaque petit-déjeuner ?

Le couple souriant s’était arrêté devant le café, lui bouchant la vue. Ils se parlaient. Puis, l’homme regarda à travers la vitrine et le Poulpe comprit : c’était lui le suiveur. Il poussa la porte. Pas du tout ce que Gabriel avait envisagé. Sourire lumineux, petites rides au coin des yeux, main tendue. La fille, poignée de main énergique, regard sans détour.

« Salut. On a vu ce qui s’est passé tout à l’heure avec la meuf d’EDF et on voulait te dire… bah, c’est cool ce que tu as fait. »

Pas du tout, pas du tout, mais alors pas du tout ce à quoi il était préparé. Sa surprise fut troublée par le barman, dreadlocks et piercings, qui salua les souriants – Ferdi et Safia.

« - On peut s’asseoir ?

  • T’aimes la bière ?
  • Y a de la bière faite à la ZAD ici, expliqua le sourire. Ça te dit de tester ? »

Gabriel était bloqué sur le mode affirmatif. La bière de la ZAD arrivait, il allait « Testet ». Il n’osa pas s’ouvrir à ses interlocuteur de ce calembour, car il savait qu’il se sentirait vite dépassé sur le plan du militantisme, où il avait plusieurs années de retard. Et puis, la mort de Rémi Fraisse, et les éborgnés par la police, et la loi Travail, ça pouvait tout gâcher. Et puis, il tenait à ce silence qui les liait déjà. Ils burent leur premier verre simplement, et trinquèrent, au second, au travail accompli. Safia se mit doucement à raconter, d’abord à grands traits, puis avec des détails, les débuts de son aventure à elle avec Linky. Comment ils l’avaient imposé chez sa mère en lui coupant l’élec pendant qu’elle était à table. Comment sa grand-mère avait reçu successivement des menaces, un nouveau compteur et des factures exorbitantes. Comment Ferdi les avaient virés et s’était retrouvé convoqué chez les flics et accusé de menaces avec arme.

« -Tu te rends compte ? Menace avec arme ? J’étais en caleçon, ils m’avaient réveillé, ces cons. »

La bière était à l’image de Safia, sans détour. Quand la jeune femme expliqua comment les voisins s’étaient organisés pour empêcher les agents d’EDF et les sous-traitants d’entrer, Gabriel était un peu ivre. Le fameux sourire du bienheureux se dessinait de nouveau sur son visage. Il rit même en entendant la légende de son coup d’éclat par Ferdi. Une fois liquidée la dernière goutte de bière – de la deuxième bouteille, parce que quand on aime, n’est-ce pas – ils se séparèrent.

Le lendemain matin, au Pied de porc à la Sainte-Scolasse, pas de trace de gommeux à polo. Gérard et Maria étaient revenus à la normale.

« Alors le Poulpe, toujours au chômage ? demanda Gérard. »

Oui, toujours au chômage le Poulpe, il se reposait en attendant la retraite. Le marché de l’aventure était en crise ? C’est cela. Gabriel sourit en ouvrant le journal. Il repensait à la tête du gardien quand il était rentré la veille, étourdi de bière zadiste et qu’il avait embrassé sous ses yeux le vieux compteur électrique écaillé et métallique à roue crantée. Soudain, un article attira son attention.

« - Gérard, regarde ça ! »

L’article n’était pas grand, mais sa photo, si. On y voyait un compteur Linky en deux parties et recouvert de peinture rouge dégoulinante. « Crime de masse » disait le titre qui la surplombait. Le journaliste précisait que les nouveaux compteurs de quatre des immeubles de la rue avaient été vandalisés, sans que les voisins n’en aient rien entendu. « Je crois, concluait le journaliste, que nous avons affaire à un serial killer. »

Gérard eut un gloussement hystérique et le Poulpe referma le journal. Sa bonne humeur était complètement revenue et, cette fois-ci, il savait pourquoi.

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