Le décret Halloween

Décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d’identité surnommé le décret Halloween, car publié le 30 octobre au journal officiel, mais aussi à cause de l’effroi qu’il provoque.

En clair, les données personnelles et biométriques de tous les détenteurs d’une carte d’identité ou d’un passeport seront désormais compilées dans un fichier unique, baptisé « Titres électroniques sécurisés » (TES).
Cette base de données remplacera à terme le précédent TES (consacré aux passeports) et le Fichier national de gestion (consacré aux cartes d’identité), combinés dans ce nouveau fichier. Le dispositif entrera progressivement en marche et sera finalisé en octobre 2018.

La base de données rassemblera les informations suivantes :

  • la photo numérisée du visage
  • les empreintes digitales
  • la couleur des yeux
  • les adresses physiques et numériques…

La quasi-totalité des Français y figurera, puisqu’il suffit de détenir ou d’avoir détenu une carte d’identité ou un passeport pour en faire partie.

La raison avancée par les autorités tient en deux mots : « simplification administrative ». Pour le gouvernement, il s’agit de fusionner les données relatives aux passeports et aux cartes nationales d’identité dans un seul et même grand fichier.
Grâce à ce nouveau système, le gouvernement souhaite aussi "prévenir et détecter les falsifications et contrefaçons" ainsi que l’usurpation d’identité. Le problème n’est pourtant pas massif, à en croire L’Obs : selon le magazine, en 2010, seules 269 fausses cartes d’identité et 166 faux passeports ont été décelés. Et en 2013, police et gendarmerie ont identifié 6 527 crimes et délits liés à de telles contrefaçons.

La création de ce nouveau fichier était prévue dans une loi adoptée en 2012 par l’Assemblée nationale, sous majorité de droite. Elle devait répondre à deux objectifs : la lutte contre les contrefaçons et les vols de pièces d’identité, mais aussi l’identification de personnes à partir de leurs données, notamment les empreintes digitales, dans les procédures judiciaires. Le projet était porté par Claude Guéant qui en avait fait un objectif de la fin du mandat présidentiel.
Le texte de loi avait été très fortement contesté par l’opposition de gauche. Des députés socialistes – dont l’actuel ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas – avaient introduit un recours auprès du Conseil constitutionnel. Celui-ci avait censuré une partie du texte, estimant que cette base de données ne devait pas pouvoir permettre l’identification de personnes. Le fichier n’avait jamais été créé.
Motif du conseil constitutionnel : "Eu égard à la nature des données enregistrées, à l’ampleur de ce traitement, à ses caractéristiques techniques et aux conditions de sa consultation, les dispositions de l’article 5 portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi."
Opposition de Jean-Jacques Urvoas à l’époque :
« Aussi demain, comme cela fut déjà le cas (...) on découvrira qu’un fichier de 50 millions de personnes est comme [...]“une bombe à retardement pour les libertés publiques”. »

« Ce texte contient la création d’un fichier à la puissance jamais atteinte dans notre pays puisqu’il va concerner la totalité de la population ! Aucune autre démocratie n’a osé franchir ce pas. (…) Or qui peut croire que les garanties juridiques que la majorité prétend donner seront infaillibles ? En novembre 2011, en Israël, fut volé le registre d’information de la population qui concernait des millions de citoyens de ce pays. Et il fut ensuite consultable sur Internet ! Aucun système informatique n’est impénétrable. Toutes les bases de données peuvent être piratées. Ce n’est toujours qu’une question de temps. »

« Le nouveau fichier, de par son ampleur, marque pourtant non seulement un changement de degré, mais aussi et surtout un changement de nature : d’un fichage catégoriel, on passe à un fichage généralisé. C’est la raison pour laquelle il n’est pas exclu que vous considériez ce fichier non seulement sous l’angle de la vie privée, mais également sous celui de la liberté individuelle en tant que telle. »

Aujourd’hui, le gouvernement, au lieu d’essayer de faire passer une loi comme la droite en 2012, a pris un décret et l’a publié au journal officiel le 30 octobre, en plein milieu du long week-end de la Toussaint. On n’ose pas croire qu’ils ont essayé de passer inaperçus.
La CNIL a critiqué l’utilisation de la forme décrétale : « les enjeux soulevés par la mise en œuvre d’un traitement comportant des données particulièrement sensibles relatives à près de 60 millions de Français auraient mérité une véritable étude d’impact et l’organisation d’un débat parlementaire »

De très nombreux services auront accès aux données du TES. À commencer, logiquement, par la police et la gendarmerie, mais aussi les douanes et les services de renseignement, pour « prévenir les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ». Selon le Code de la sécurité intérieure, ces « intérêts fondamentaux » sont larges. Ils vont de la lutte contre « les atteintes à la forme républicaine des institutions » à « la criminalité et la délinquance organisées » en passant par les « violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique »

Il est expressément prévu dans le décret que le droit prévu par la loi de s’opposer au traitement des données à caractère personnel n’est pas applicable pour ce fichier. Ainsi, impossible de s’opposer à son inscription dans le fichier. La seule solution est de ne pas détenir de passeport ou de carte d’identité, puisque ce n’est pas obligatoire, mais cela rend le quotidien bien plus compliqué pour prouver son identité et empêche de voyager.

Le nouveau fichier ne comprend pas, tel que c’était prévu en 2012, la possibilité de rechercher dans le fichier, par exemple en ayant des empreintes digitales et lancer la recherche pour voir à qui elles correspondent. C’est l’argument majeur du gouvernement pour dire que le fichier est complètement différent de celui de 2012. Par contre, si on reprend le même exemple des empreintes trouvées sur une scène de crime par exemple, rien n’empêche à la police d’aller consulter des fiches pour comparer les empreintes. Simplement, la fonction recherche n’existe pas.

En plus, une fois la base crée, la possibilité est offerte d’en modifier l’usage, ce qui devient encore plus terrifiant.

Sachant que le fichier comportera des photographies détaillées des visages, il est possible d’imaginer une utilisation du fichier en parallèle des nouvelles technologies de reconnaissance faciale pour les systèmes de vidéosurveillance utilisés dans les gares depuis les attentats de novembre 2015. Si aujourd’hui, la recherche par reconnaissance faciale ou par empreinte n’est pas possible selon le décret, il est facile d’imaginer une dérogation en cas de nouveaux attentats.

Ce décret n’est qu’une des conséquences des possibilités ouvertes par l’instauration de l’état d’urgence : l’arsenal répressif n’a fait que croître depuis un an. Mais nos possibilités d’organisation contre l’état n’ont aussi fait que croître depuis le printemps, affaire à suivre, donc...

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