Les mauvais garçons de Mai 68

Ce samedi 3 février, à la librairie l’Insoumise à Rouen, Claire Auzias était invitée pour parler de son dernier livre : Trimards, « Pègre » et mauvais garçons de Mai 68.

Claire Auzias nous a conté une histoire souterraine de Mai 68, loin des commémorations officielles que l’Etat ou les militants politiques de la gauche tentent de s’approprier, d’une révolution qui ne fut pas que bourgeoise.

Ceux que la presse appela les "Trimards", comme les "katangais" parisiens ou les zonards de Nantes, étaient des ex-mercenaires, des chômeurs ou des déclassés, désignés parfois comme les "blousons noirs". Claire Auzias nous raconte en tous cas qu’il s’agissait de groupes organisés loin de la bureaucratie des organisations politiques traditionnelles. Ils avaient parfois leur drapeau, leurs pratiques mais se retrouvaient avec les étudiants dans les occupations d’université et jouaient un rôle décisif dans l’offensivité de ces occupations comme des manifestations.

En partant de l’histoire individuelle de trois de ces "Trimards", c’est toute la complexité des rapports sociaux et politiques qui existaient au sein du mouvement révolutionnaire que Claire Auzias nous donne à voir.

Bien que ces groupes aient participé à la fête révolutionnaire, ils ne trouvèrent que l’ennui et l’impuissance de groupes figés dans leurs positions : les étudiants les expulsèrent des facs, dans l’espoir stupide d’obtenir par cette bassesse qu’on leur concède la gestion durable des lieux, que le pouvoir les reconnaisse comme "adultes responsables". Un des Katangais put faire remarquer justement : « Les étudiants sont peut-être instruits, mais ils ne sont pas intelligents. Nous étions venus les aider… ».

« Katangais » de la Sorbonne arrêtés par la Police après avoir été désavoués par les étudiants.

Une fois la présentation du livre et de ce contexte achevée, la discussion a pu dériver sur l’organisation plus générale des "enragés", ces groupes autonomes qui ont fait la lutte de 68.
Ce qui est significatif dans ce que Claire Auzias raconte c’est que le soutien apporté à ces groupes de marginaux ne l’a été que par ces "enragés", et non par les organisations traditionnelles, se revendiquant pourtant révolutionnaires. Pas tellement différent d’aujourd’hui en fait.
C’est d’ailleurs ce qui rendait l’échange si vivant : son expérience de 68, qu’elle a vécu en tant que lycéenne de 17 ans, faisait écho à toutes les luttes de ces dernières années, pour ceux qui ont été pris par ces bouleversements politiques. Il s’agissait bien de lutte sur tous les aspects de la vie, loin de la division qui s’est effectuée après, dans les années 70. "Oui, il y a eu le Mouvement de Libération des Femmes, oui il y a eu les mouvements d’homosexuels, etc. Mais par rapport à ce qu’on portait pendant 68, cette division de la lutte et les quelques victoires qui en ont découlé, c’était vraiment des lots de consolation."

C’est cette histoire-là de Mai 68 qu’on a envie de connaître, et pas celle qui commence déjà à nous être contée pour "célébrer" cet anniversaire.

Je retranscris ici un extrait du livre et vous invite à en continuer la lecture :

Lyon et les trimards

Avant que les trimards ne se fassent connaître pour leur accointance momentanée au coeur des luttes de Mai, ils étaient repérés comme des traîneux, des jeunes gens attroupés sur la voie publique. Ils n’étaient pas tous des SDF. La plupart disposaient d’un foyer familial, mais plusieurs préféraient dormir sous les ponts, notamment aux beaux jours et rester ainsi liés par un mode de vie à leur guise. A Lyon, le lieu visible de leurs rencontres était le pont la Feuillée sur la Saône, pont stratégique qui relie la place des Terreaux et l’accès à la Croix-Rousse avec le Vieux-Lyon qui perçait à peine en 1968 vers une réhabilitation touristique, mais n’avait pas encore nettoyé ses habitations insalubres et ses habitants miséreux. L’ensemble était d’un noir de suie, tant côté Terreaux que côté Saint-Paul. En d’autres termes, le secteur était certes central, mais encore très populaire.
[...]
Pourquoi les trimards à la faculté de lettres est une question à laquelle j’ai donné un début de réponse précédemment : un militant est venu les chercher sous le pont la Feuillée et les inviter à occuper la faculté avec nous. Cette démarche traduit une volonté politique nette, à savoir le refus de tout corporatisme dans la lutte. Même si la vieille garde considérait l’outil de travail comme une propriété limitée à préserver, la base estudiantine qui occupait l’université n’entendait pas en faire une chasse gardée.
[...]
Certes, la coexistence n’a pas toujours été harmonieuse ; étudiants et trimards se considéraient mutuellement d’un oeil circonspect le plus souvent. Car si les anecdotes d’étudiants ou de professeurs sur les trimards sont abondantes, la réciprocité est peu connue. Comment les occupants de la faculté furent-ils vus par les trimards ?

Trimards, « Pègre » et mauvais garçons de Mai 68, Claire Auzias, Atelier de Création Libertaire, 2017, p. 192 à 194.

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