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« Vas-y, on joue avec les livres et les bibliothèques » : une présentation digressive de la bibliothèque du Diable au corps.

D) Sommaire
Le Diable au corpsBibliothèque idéale VS... – ... Bibliothèque réelleL’ordre des prioritésChoses désolantesSei ShonagônBibliothèque matériellePerecBibliothèque jauneMasques à poussièreTrouvé dans les livresCritères fréquents de rangement de bibliothèqueCritères plus rares de rangement de bibliothèqueClassement de la Bibliothèque du Diable au corpsComment ranger les livres sur les livres, je ne parle pas des livres sur des livres en particulierActions qui procurent le même genre de satisfaction que de ranger une bibliothèqueBibliothèques amiesAuteurs dont le nom est difficile à classerLa Bibliothèque idéale, mise à jour septembre 2017Vendredi 13 - Notes de bas de page.

S) Le Diable au corps
Le Diable au corps s’apprête à ouvrir. Enfin. Je vous invite à lire cet entretien de présentation si vous n’êtes pas suffisamment renseigné sur le lieu et ses activités. Je viens vous parler de l’une d’entre elle et de toutes les occupations, réflexions, digressions qui en découlent : la bibliothèque.
Mais déjà pourquoi « Le Diable au corps » ? Aux origines du projet, il nous a fallu créer une association, simple entité juridique nous représentant dans la gestion de notre futur local. Comme nous savions qu’il serait question d’héberger une bibliothèque, nous aimions l’idée de nous donner pour nom un titre. Nous voulons tout. L’Ombilic des limbes. Une saison en Enfer. Le Diable au corps. Commune présence. Les Enfants terribles. Ce n’était déjà plus le livre de départ qui comptait, mais les idées qui s’associaient aux mots du titre. D’ailleurs, certains d’entre nous – dont moi, je l’avoue – ne connaissaient rien à Raymond Radiguet, mais Le Diable au corps nous plaisait. Sa polysémie, surtout, l’a emporté : le corps, en particulier, celui qu’on soigne par le shiatsu, celui dont on parle parce qu’il est incarcéré ou interné (dans notre émission anticarcérale Au-delà des murs et aux réunions du collectif A ta santé sur le soin psychiatrique et la santé mentale), mais aussi le corps de texte à lire, rédiger ou mettre en page…

O) Bibliothèque idéale VS...
Pour la construction de notre bibliothèque, nous n’avions au départ qu’une ambition : qu’elle contienne des livres importants. Importants, c’est-à-dire utiles immédiatement, lors de séance d’écriture collective, par exemple, mais aussi plus lointainement et plus étroitement à la fois, dans la constitution d’un univers, fait de lectures, d’émotions, d’expériences communes. Nous avons donc proposé à notre entourage de dresser la liste des livres qui l’ont marqué


Jeu n° 1 : Parcourir sa bibliothèque personnelle et noter les titres qui valent vraiment le coup. Prolonger l’énumération avec les livres qu’on a lu, mais qu’on n’a plus. Avec les livres qu’on n’a pas encore lu, mais dont on sait qu’on les aimera.
Variante pour joueur confirmé : limiter cette liste à 10 titres.

« Même les BD ? Même les livres pour enfants ? Même genre les Harry Potter ? » – Ouais, tout. (Tu parles, Harry Potter était déjà dans la liste, depuis bien longtemps. Depuis le tout début, à vrai dire.)
C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés avec des listes courtes et longues, ordonnées et chaotiques, spécialisées et généralistes de livres qu’il fallait avoir. Nous les avons confondues et, une fois réunies, baptisées La Bibliothèque Idéale.
Il semblait suffire de courir les bouquinistes et les foires-à-tout pour se les procurer.

M) … Bibliothèque réelle
Or, la constitution d’une bibliothèque est chose exigeante et sensible, où plusieurs paramètres interagissent sans cesse. Comment, par exemple, s’empêcher de prendre tous les Balzac, quand on n’en veut au départ que deux mais que l’on sait que 1) ce sont des classiques, 2) c’est étudié en classe, 3) le lecteur n’est jamais à l’abri de l’envie de lire toute la Comédie Humaine ? Pourquoi se retenir d’acheter quand on tombe dessus Le Miroir de la Magie, vieille édition sur les pratiques des sorcières, ou de prendre (cadeau !) le Sade vivant de Jean-Jacques Pauvert aux éditions du Tripode (beau ! beau ! beau !) ? Qui pourrait dire non aux cinquante albums de L’École des loisirs en parfait état donnés par la mère d’une amie ?
Notre liste idéale a donc une concurrente, celle, bien réelle, bien matérielle – d’ailleurs encore en partie entassée dans le bureau – des Livres Que L’On A Déjà. Elles se rencontrent quelquefois, sur des points précis, mais elles n’ont pas eu la même vie : là où l’Idéale, c’est du beau, du bon, du digéré, du distillé, la quintessence de quelques vies de lecteurs, la Réelle, c’est du terrain, du hasard, de l’accidentel.

A) L’ordre des priorités
Le fait qu’un livre arrive ou non sur nos étagères ne dépend ni tout à fait d’une logique d’obéissance à la Bibliothèque idéale, ni entièrement d’une force aléatoire de rencontre. Nous avons toujours essayé de nous procurer les titres les plus demandés, tout en gardant l’œil et la main ouverte à n’importe quelle petite occasion en or (ou en simple strass, pas d’élitisme). Du coup, il est fréquent qu’un livre « coup de cœur » lu la semaine précédente entre directement dans la Bibliothèque Réelle alors qu’il n’a jamais figuré à la liste de l’Idéale, et y fasse entrer d’autres titres du même auteur. C’est tout à fait à tort que ces livres pourraient se croire prioritaires.

I) Choses désolantes1
Trouver entre deux pages d’un recueil de poésie un gros insecte écrasé.
Feuilleter un livre et s’apercevoir qu’il manque les pages 122 à 139.
Un livre dont les pages, après plusieurs années, sentent encore le tabac à pipe.
Un livre qui porte les mots « J’espère que ce cadeau te plaira » et qui a été revendu.
Un livre que l’on emprunte sur les conseils d’un ami, ouvre avec avidité et dont on s’aperçoit qu’on l’a déjà lu. Et l’on s’en veut de ne pas avoir été émerveillé.
A l’inverse, prêter son livre préféré à quelqu’un qui vous le rend sans rien dire.

R) Sei Shonagôn
L’envie d’imiter Sei Shonagôn me vient car j’imite Georges Perec. Les deux sont inextricablement liés dans ma vision de la littérature, alors que neuf siècles et la moitié de la planète les séparent. Mais c’est lui qui me l’a fait connaître, et tous deux offrent en cadeau au lecteur leur amour des listes. Si je devais classer une bibliothèque suivant la sympathie entre les auteurs, ils partageraient une étagère.

E) Bibliothèque matérielle
Installer les livres, l’inaccessible rêve. Des travaux ont dû être réalisés avant que le premier livre soit posé sur la première étagère : le ragréage du sol, l’électrification de la pièce, l’isolation des murs, la pose de placo aux murs, la pose de placo au plafond, la peinture du placo 1re couche, 2e couche, retouches, le deuxième ragréage du sol, l’isolation du sol, la pose d’un parquet, la pose d’une vitrine.
Puis, il a fallu construire les étagères, des plans jusqu’à la pause sur place, en passant par l’atelier collectif d’Au fil du bois et le marchand de couleurs.
Et accepter de voir qu’il manquait encore de la place pour les bouquins.

T) Perec
Comme Georges Perec le fait dans son article « Penser/Classer », j’ai numéroté les sous-parties de ce texte selon un ordre arbitraire. Lui a choisi les lettres de l’alphabet selon leur ordre d’apparition dans un chapitre de Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino. J’ai choisi les lettres de l’alphabet selon leur ordre d’apparition dans « Penser/Classer » de Georges Perec. C’est ça, un « réseau de lignes entrecroisées »2.

H) Bibliothèque jaune
Jaune ? Jaune ?? Jaune… Jaune… Jaune, jaune, jaune, jaune. JAUNE. Jaaaauuune. Jaune. J a u n e. jaunejaunejaunejaunejaunejaune. Jaune ! Jaune !
Vous voyez, on s’y fait vite.
Bref, notre grande bibliothèque est jaune. Sa peinture a été une succession de déconvenues et de recommencements mais finalement, le résultat n’est pas si loin du but. Comprenez par là qu’elle est jaune.

Q) Masques à poussière
Du placo à la peinture, des vieilles couches d’isolation à la laine de verre flambant neuve, ç’aura été une histoire de poussière. Un autre point commun à la bibliothèque et aux livres.

U) Trouvé dans les livres
Quand on n’y trouve pas de la poussière, il arrive de trouver des objets dans les livres.

Jeu n°2 : Chez vous, feuilletez tous les livres de votre bibliothèque et dressez la liste de tout ce que vous trouverez et où. Il y a des surprises : un vieux chèque dans Voyage au bout de la nuit, une lettre du Pôle Emploi dans un Poulpe, un morceau de papier cadeau dans Rimbaud, un préservatif dans Le Prince de Machiavel… (Tout est vrai).

Au Diable au corps, j’ai rempli un album photo de choses trouvées dans les livres que nous avons achetés ou récupérés. L’écrasante majorité est composée de cartes postales publicitaires, listes de courses, notes plus ou moins vagues. Plus rares sont les lettres et les photos, et beaucoup, beaucoup plus rares les morceaux d’aluminium qui recouvrent les bouchons de bouteilles de vin et les feuilles de papier toilette…
Cette découverte régulière nous fait revenir à Georges Perec, qui avait commencé un travail particulier d’herboriste du bitume : il amassait les objets trouvés par terre au hasard de ses déplacements dans Paris, qu’il voyait comme des vestiges matériels du mode de vie de son époque. Il en espérait quelque chose d’imprécis, comme de saisir un peu de la vie matérielle quotidienne, presque invisible de banalité, qu’il appelle l’infra-ordinaire.

N) Critères fréquents de rangement de bibliothèque
Par genre littéraire
Par auteur
Par pays ou langue d’écriture
Par année
Par format
Par édition
Par dichotomie égoïste : d’un côté, ceux qu’on a déjà lus, de l’autre, les autres.
Au hasard

X) Critères plus rares de rangement de bibliothèque
Par ami à qui on les a volés
Par sympathie supposée entre les auteurs
Par chronologie de lecture
Par succès à la réception
Par libraire de l’Armitière : d’un côté, ceux qui sont « Recommandés par Graziella », de l’autre, les autres.

C) Classement de la Bibliothèque du Diable au corps
Il faut bien ranger. Nous avons donc un classement à peu près rigoureux, selon les critères suivants. L’écrasante majorité de nos ouvrages appartient à la littérature, laquelle se divise entre poésie, théâtre et prose. Viennent ensuite les sciences humaines, dont une catégorie « Écrits politiques contemporains ». Les livres pour enfants : en gros, soit des albums, soit des romans. Les BD. Les livres sur les arts. Les livres « techniques » : dictionnaire, méthode de langue vivante, bouquin de cuisine, guide de jardinage, la guitare pour les nuls, etc…

V) Comment ranger les livres sur les livres (et je ne parle pas des livres sur des livres particuliers) ?
Par exemple, comment classer La Bibliothèque idéale, La Bibliothèque invisible de Stéphane Mahieu, ou la série dirigée par Umberto Eco, Histoire de la beauté, Histoire de la laideur, Histoire des lieux de légende ? Extraits, références purement littéraires, reproductions de tableaux, analyses, digressions : c’est tous les lecteurs en moi qui sont sollicités en même temps. Le lecteur scientifique suit la démarche générale du livre, le littéraire s’engouffre dans les espaces ouverts par les citations, le chercheur s’en sert comme d’une bibliographie, l’assidu lit tout, le distrait feuillette, le novice apprend et l’expérimenté reconnaît ce que l’amnésique redécouvre. Il manque à toutes les bibliothèques une catégorie pour ces livres, qui porterait le nom, justement, de « Bibliothèques ».

B) Actions qui procurent le même genre de satisfaction que de ranger une bibliothèque

  • Ramasser des noix
  • Trier des perles de couleur
  • Rayer l’un après l’autre les éléments d’une liste
  • Tricoter, à condition de savoir le faire machinalement
  • Disposer régulièrement les pièces du jeu de dames sur le plateau. Variante pour les fêtes de fin d’année : disposer régulièrement des petits toasts aux œufs de poisson rouges et noirs sur un plateau.

L) Bibliothèques amies
« Pourquoi tu l’as en double ?

  • Parce que j’adore ce livre. Partout où je le vois, je le vole. »

Une de mes profs de fac nous avait fait jouer au Jeu n°1 avec la variante pour joueurs confirmés et s’y était prêté à son tour. Elle avait indiqué parmi ses 10 ouvrages préférés un gros roman chinois du Xè siècle, en précisant bien qu’elle ne l’avait pas lu. Elle le gardait pour sa mort, avait-elle dit, parce qu’elle savait déjà qu’elle adorerait et qu’elle voulait pouvoir se consacrer entièrement à cette lecture.
Maintenant que j’y pense, elle aussi parlait de Sei Shonagôn.


« Tiens, lis ça. C’est trop bien. C’est grâce à ce livre-là que je suis sortie de ma dépression. »

« J’ai bien aimé le premier, mais j’ai été déçue par la suite.

  • Je sais, le 2 est pourri. Je fais croire aux gens qu’il n’existe pas. »

P) Auteurs dont le nom est difficile à classer
André Pieyre de Mandiargues
Barbey d’Aurevilly
José Maria de Eça de Queiroz
Choderlos de Laclos
Romain Gary/Emile Ajar
Alain-Fournier
Kateb Yacine. Kateb Yacine est un nom de plume. Il s’appelait, en termes d’état civil, Yacine Kateb. Quoi qu’il en soit sa place est parmi les K, mais à chaque fois, j’ai un doute.

Z) La Bibliothèque idéale, mise à jour septembre 2017 (Vas-y clique dessus steup.)
Les livres surlignés sont ceux que l’on possède déjà. Il en arrive encore tous les jours en ce moment. Les autres sont ceux qui restent encore à se procurer.

Jeu n°3 : Regarder cette liste et repérer les livres qu’on a lu, ceux qu’on aimerait lire, ceux qu’on ferait également figurer à la liste de la Bibliothèque Idéale, ceux qu’on considère comme des erreurs de casting, etc.
Jeu n°4 : établir sa propre liste.

G) Vendredi 13
La bibliothèque idéale ne sera jamais définitivement établie. Nous voudrons toujours connaître vos livres préférés et nous aurons toujours envie de les lire. Vous pouvez venir à la soirée d’inauguration du Diable au corps le vendredi 13 octobre à partir de 18h pour voir (en partie seulement et entre autres choses) notre bibliothèque. Si vous ne voulez pas venir les mains vides, la liste de vos bouquins préférés (ou l’un d’eux) nous ferait extrêmement plaisir.

F) Notes de bas de page
1- D’après Sei Shonagôn, Notes de chevet, 1966.
2- D’après le chapitre « Dans un réseau de lignes entrecroisées », in Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, 1979.

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