Pourquoi Katie Yow refuse de témoigner au Grand Jury

Nous nous lançons actuellement dans la traduction (très) libre d’articles qui nous ont plu ou que l’on trouve intéressant à partager.

Aujourd’hui, il s’agit d’un article de Carrie Feldman publié dans MASK magazine (lien), site administré par des amis de Brooklyn. Le Grand Jury est une procédure judiciaire aux Etats Unis, qui vise principalement les opposants politiques, et qui permet de les envoyer en prison sans le moindre procès.

N.B : Le terme « Subpoena », que nous ne traduisons pas à tous les coups, évoque le fait d’être cité à comparaître devant le Grand Jury.

Katie Yow a été appelée à témoigner devant le « grand jury », qui enquête actuellement sur une affaire, sans qu’elle sache ce dont il s’agit. Néanmoins, elle refuse de coopérer. C’est pourquoi elle pourrait encourir jusqu’à 18 mois d’emprisonnement sans même avoir de procès. Carrie Feldman, anciennement confrontée à la même situation, discute avec Katie Yow du fonctionnement du Grand Jury, et de comment faire face à cette procédure.

« Vous avez le droit de garder le silence »

Quiconque ayant déjà vu un film policier a déjà entendu ces mots. Pour le grand public, ces mots on fait leur chemin et sont connus de tous comme étant un droit et une liberté aux Etats Unis.
Cependant, c’est une déformation : vous n’êtes pas obligés de parler ni aux policiers ni aux juges dans la plupart des situations, mais garder le silence n’est pas réellement un droit dans le système judiciaire américain.

Au contraire, si le gouvernement te « subpoenas » à un mystérieux Grand Jury, ne rien déclarer peut être puni d’emprisonnement. Quand j’ai été confrontée à comparaître au Grand Jury en 2009, j’étais déjà politisée et par conséquent je n’étais pas surprise que le système judiciaire américain puisse se révéler ouvertement injuste. Pendant mon affaire, j’ai été frappée du nombre de personnes dans la sphère politique qui étaient atterrées que cela puisse arriver aux Etats Unis.

Et pourtant, les investigations du Grand Jury continuent, souvent dans l’indifférence générale, contraignant les gens à choisir entre la collaboration, ou la taule.

Katie Yow, travailleuse sociale et anarchiste de Durham (Caroline du Nord), fait aujourd’hui face à ce même dilemme. Citée à comparaître pour témoigner à propos d’une attaque sur le siège républicain - dont elle assure ne rien savoir - , elle a cependant souhaité ne pas collaborer avec le gouvernement dans ses enquêtes sur les milieux radicaux. Par ce refus, elle risque la prison pendant toute la durée du Grand Jury auquel elle a été convoquée, c’est à dire jusqu’à 18 mois d’incarcération.

Alors, qu’est ce que le Grand Jury ?
Contrairement à un procès devant jury, qui est souvent le plus représenté dans les films et les séries, un Grand Jury ne décide pas de l’innocence ou de la culpabilité de quelqu’un, il décide seulement de savoir si quelqu’un devrait être inculpé et aller en procès pour crime grave. En théorie, une audience constituée de pairs te protège de poursuites exagérées en examinant les preuves, et en en décidant si elles justifient les chefs d’inculpation.

Cependant et de façon notoire, ils sont bien incapables de te protéger. Les Grands Jurys sont réputés pour être de mèche avec le Procureur, à tel point que l’ancien juge en chef de l’Etat de New York a déclaré un jour qu’un Grand Jury aurait pu « inculper un sandwich au jambon » si le procureur le leur avait demandé. Dans les rares cas où ils n’inculpent finalement pas les prévenus, il s’agit souvent d’un officier de police qui doit répondre de violence ou de meurtre.

Grâce à leur pouvoir étendu de « Subpoena », les Grand Jurys sont souvent utilisés comme outils pour étendre les investigations, et dans certains cas pour mener une véritable persécution politique. Si vous avez été vu à une manifestation où il y a eu des dégradations, mais que la police n’a aucune preuve concrète que vous en ayez commis, le procureur peut alors citer à comparaître vos amis (et même n’importe quel membre de votre famille) et les questionner sur vos convictions politiques et vos fréquentations. Avez vous déjà prôné la destruction de bien par motif politique ? Avec qui passez vous du temps, avec qui vous organisez vous ? Vous considérez vous comme un anarchiste, un socialiste, un communiste, ou encore un anti-fasciste ? Dans ce cas, le Grand Jury ne va pas réexaminer l’affaire pour voir si les charges sont justifiées. En revanche, ils montent un dossier contre vous, et ils ont le pouvoir d’utiliser contre vous les témoignages à charge d’autres personnes, ou même le vôtre.

Le fait que le Grand Jury soit convoqué en secret et ne soit pas public, n’est d’aucun secours. Vous pouvez être assigné à comparaître sans aucun motif, et sans même être informé du crime dont l’enquête fait objet. Les transcriptions ne sont pas rendues accessibles et il n’existe aucun moyen officiel de découvrir qui est cité à comparaître et quel est l’objet de l’enquête. Contrairement à un procès classique, il n’y a pas dans la salle de juge ou d’avocat de la défense autorisés à contredire ce que dit le procureur ou à s’assurer du bon respect des lois.

Mais pourquoi et comment le gouvernement est il capable de contourner le Cinquième amendement, en autorisant de la sorte des témoignages obligatoires ?
Si vous plaidez le 5e amendement [1] (ou « plead the fifth ») comme c’est déjà arrivé, le procureur demande simplement à l’avocat général de vous accorder l’immunité, puisque l’auto-incrimination est interdite. Ce procédé sournois a été établi en 1954 par le « Communist Control Act » sous Eisenhower.

Dans les années 1970, l’administration Nixon a limité encore davantage ce droit constitutionnel, sous prétexte de combattre le crime organisé. Maintenant, quand on vous accorde l’immunité, le gouvernement ne vous garantit pas que vous ne serez pas poursuivi si vous témoignez, on vous garantit seulement que vos déclarations ne seront pas utilisées contre vous devant les tribunaux. Par contre, ils sont bien sûr libres d’utiliser les témoignages des autres contre vous, témoignages qu’ils peuvent également obtenir en échange d’une immunité.

Cette nouvelle loi fut rapidement mise en œuvre pour cibler les militants opposés à guerre du Viet-Nam, les Black Liberationist et les indépendantistes portoricains (ainsi que beaucoup de mouvements de gauche radicale des années 1970). Plus récemment, elle a été utilisée par la justice pour s’attaquer à des écologistes radicaux, des militants de la cause animale et des anarchistes.

Du fait du secret qui entoure l’instruction et des protections très minimes qu’on peut avoir en témoignant, refuser complètement de parler au Grand Jury semble, pour beaucoup, être la solution la plus sûre et la plus éthique afin de ne pas s’incriminer soi-même ou d’incriminer d’autres personnes. Les membres de ces mouvements ont largement adopté le choix de la non-coopération comme stratégie de résistance, en dépit des conséquences.

Seul le début de l’article a été traduit par nos soins, mais si vous voulez en savoir plus sur le cas de Katie Yow, voilà son entretien avec Carrie : http://www.maskmagazine.com/the-rant-issue/struggle/why-kati-yow-is-refusing-a-grand-jury-order

Si vous voulez traduire des textes avec nous, n’hésitez pas à nous écrire : alouest@riseup.net

Notes

[1L’Amendement V de la Constitution des États-Unis d’Amérique fait partie de la Déclaration des droits et vise à protéger contre les abus de l’autorité du gouvernement dans une procédure juridique. Il garantit la sécurité juridique, empêche d’une part, d’être jugé deux fois pour le même crime, et d’autre part qu’une personne ait à témoigner contre elle-même.

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