Reportage à Bure : les émeutes arrêteront-elles le projet de poubelle nucléaire ?

« Pourtant la plupart des articles ont manqué d’appuyer l’incroyable performance qu’elle a constitué : c’est que nous avons totalement démoli, à seulement quelques dizaines et dans une euphorie constante, plus d’un kilomètre linéaire de murs de béton armé. »

Voilà plusieurs mois que la mobilisation contre le centre d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure s’amplifie. Du 13 au 15 août s’y tenait un camp estival à l’occasion duquel l’immense mur de béton qui devait protéger les travaux de l’ANDRA a été « abattu ». Afin de mieux comprendre ce qui se joue dans ce village reculé de la Meuse, nous vous invitons à regarder le reportage réalisé sur place par nos amis de Doc du Réel. Nous publions ensuite l’éclairant témoignage d’un participant à ce week-end.

Le week-end du 13 au 15 août 2016 contre le projet CIGEO fut, une nouvelle fois, un moment d’une rare intensité. Après une montée en puissance incessante pendant les deux mois d’ « été d’urgence », après un an de mobilisations et d’actions qui ont revigoré un mouvement d’opposition entamé il y a plus de vingt ans, elle fut de ces moments collectifs qui redonnent le goût de la victoire.
La principale action de ces trois jours, la démolition du mur que l’ANDRA avait commencé à ériger afin de protéger son projet d’enfouissement de déchets ultra-radioactifs (bien profond et pour l’éternité), a d’ailleurs donné lieu à une couverture médiatique assez conséquente. Pourtant la plupart des articles ont manqué d’appuyer un de ses éléments essentiels, à savoir l’incroyable performance qu’elle a constitué : c’est que nous avons totalement démoli, à seulement quelques dizaines et dans une euphorie constante, plus d’un kilomètre linéaire de murs de béton armé. Cette action collective a laissé les démolisseurs et démolisseuses aussi exalté.e.s qu’éreinté.e.s. Elle ne fut possible que parce que nous avions avec nous la rage d’en finir avec ce projet abject, autant que la conviction que nous pouvions porter à l’adversaire un coup mémorable.

Ce texte propose de restituer certains de ces instants magiques. L’auteur de ces lignes voudrait l’adresser en chaleureuse dédicace à nos frères et soeurs italiens du mouvement No TAV, confrontés à une solide répression alors qu’ils s’obstinent depuis plusieurs années à démolir un autre odieux chantier, qui lui aussi n’est envisageable que dans une société nucléarisée : celui du train à grande vitesse dans la vallée de Susa. À Bure, ce week-end, nous avons à notre tour connu l’euphorie inoubliable d’une action de sabotage de masse. Nous savons que rien de ce qui viendra ne pourra nous ôter son souvenir. Et nous avons dansé sur les ruines du vieux monde...
Scène 1 : « Allez, on s’y met tous pour le tir à la corde ! »

Parti en fin de matinée du village de Mandres-en-Barrois, le cortège de presque 500 personnes vient de pénétrer sur la zone du chantier par son entrée principale. Le grillage en est déjà défoncé. Ceux qui participent à l’action savent pour la plupart qu’elle sera un peu plus physique que celle du samedi. La balade de la veille, à laquelle ont déjà participé la plupart des « promeneurs du dimanche » présents aujourd’hui, était avant tout destinée à constater les dégâts de l’ANDRA. Elle fut du même coup le déclencheur d’une profonde détermination à mettre à terre dès le lendemain, si cela s’avérait possible, l’abominable fortification d’un kilomètre.

À peine passé le seuil, une petite équipe s’attaque à une section de mur composée de « petits » éléments : ceux-là font juste un mètre de large, et pèsent « seulement » 1,4 tonne. Une grande barre en métal creuse, arrachée au portique d’entrée, est utilisée par une demi-douzaine de personnes pour faire levier sur le sommet d’un des éléments, qui commence ainsi à se décoller du sol. Quelques complices poussent fermement, le module de béton penche davantage, bascule, et se brise sous les hourras de toute l’assemblée. Dans le même temps, un autre membre du cortège accroche une pièce de bois à une petite corde, trouvée sur les lieux parmi les restes d’une cabane de vigiles. La corde est passée à travers le trou de manutention d’un autre module en béton, puis tirée jusqu’à être mise en tension grâce au bâton. Une douzaine de personnes se saisissent de l’extrémité libre, hissent la corde, et abattent un second pan de mur sous de nouveaux hourras.

Dès lors, la machine est lancée : « Allez, on s’y met tous pour le tir à la corde ! » Autres cordes, autres modules, autres pièces de bois. Leviers, coups de masses et de burins pour désolidariser les pans de murs entre eux, efforts multipliés de traction et de poussée. C’est bientôt une demi-douzaine d’équipes qui s’affaire. Certains qui observaient d’abord en badauds, se prennent au jeu général. Les idées fusent sur les meilleures manières de désolidariser les infâmes modules afin de pouvoir les abattre. D’autres commencent à arpenter les contours du fortin inachevé, effarés par la violence du paysage de béton et de caillasses qui lacère la forêt. Nous savons alors tous que vient de commencer un travail salutaire, mais nous sommes encore loin d’imaginer que nous pourrons achever autre chose qu’une action symbolique. 1070 mètres de muraille, et certains des modules qui pèsent 2,7 tonnes...

Publiez !

Comment publier sur A l’ouest - Site coopératif d’informations locales et d’ailleurs, sur Rouen et alentours?

A l’ouest - Site coopératif d’informations locales et d’ailleurs, sur Rouen et alentours n’est pas qu'un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail alouest@riseup.net