Condamnation du policier qui a tué Amine Bentounsi d’une balle dans le dos

Après cinq ans de bataille judiciaire, la Cour d’Assises de Bobigny a condamné, ce 10 mars 2017, le policier Damien Saboundjian à 5 ans de prison avec sursis et 5 ans d’interdiction d’usage d’arme. Le 21 avril 2012, il avait tué Amine Bentounsi d’une balle dans le dos. Nous retranscrivons ici le discours prononcé par la sœur, Amal Bentounsi, après l’annonce du délibéré.

Cinq ans. Ça nous a pris cinq ans pour en arriver à cette condamnation, somme toute symbolique. Cinq ans de larmes, parce que la mort d’un fils, d’un petit frère, dans ces circonstances, c’est quelque chose qui ne s’efface pas. Cinq ans de cris, parce qu’il a fallu se faire entendre, par les médias, les politiques et la justice. Il a fallu défoncer le plafond de verre qui, dans ce genre d’affaires, empêche de dépasser le classement en fait divers. Cinq ans de batailles, et de petites victoires aussi, face à cette machine à broyer les familles et les luttes qui se met en route à chaque fois qu’un policier est mis en cause dans une affaire de violences policières. Cinq ans à redire que mon frère, quel que soit son passé, ne méritait pas d’être abattu comme ça, comme un chien, une balle dans le dos, alors qu’il fuyait un policier. Cinq à espérer que justice passe, même si la militante politique que je suis devenue malgré moi, sait pertinemment qu’ils sont très rares les policiers à être condamnés pour ces faits.
Alors oui, la Cour vient de déclarer Damien Saboundjian coupable des faits qui lui étaient reprochés. Et oui, c’est une victoire... en demie-teinte, mais une victoire quand même, tant elle m’a coûté, tant elle nous a coûté. Il ne faut pas être dupe, le peu que nous avons obtenu aujourd’hui est le fruit de notre mobilisation collective. Rien ne nous a été donné. Rien. Et cette condamnation, aussi légère soit-elle, on l’a arrachée. Elle est le résultat d’années de luttes de l’immigration et des quartiers populaires, elle est le résultat de notre détermination. De ce point de vue là, c’est une vraie victoire.
Après évidemment, le décalage entre ce qui a été démontré durant ces deux procès en Cour d’assises et la sanction prononcée ne peut qu’interroger et indigner. En effet, il a été très clairement établi que Damien Saboundjian n’était pas en état de légitime défense ce 21 avril 2012. L’avocat général de la Cour d’assises de Bobigny l’avait clairement démontré en 2016. L’avocat général de la Cour d’assises de Paris l’a de nouveau clairement démontré en 2017. Pire, les deux procès ont rendu visible le corporatisme policier primaire, les liens avec le pouvoir et les tentatives de pression sur la justice. Non seulement, les policiers ont menti pour se couvrir mais ils ont surtout été protégés par la hiérarchie et le Ministère de l’Intérieur. On nous traitait de « complotiste » quand on disait cela… maintenant au moins les choses sont claires.
Je sais que beaucoup vont être déçus. Mais il faut aussi prendre la mesure de ce qui vient d’être fait. Ce n’est pas rien de se battre contre des structures aussi puissantes. Il y a une inégalité des forces qui n’est jamais en notre faveur. Donc ça, ce n’est pas rien.
Il faut le prendre comme une invitation, une obligation, à continuer le combat.
Il y a une culture de l’impunité policière dans ce pays qu’il va falloir régler avant que les choses ne dégénèrent davantage. Ça fait des années que j’alerte aussi sur le danger des lois sécuritaires, et en particulier du permis de tuer qu’on accorde aux forces de l’ordre. La loi sécurité qui vient d’être promulguée en mars 2017, et qui assouplit les règles d’usage d’armes pour les forces de l’ordre et les règles de la légitime défense, est très très dangereuse. L’ironie c’est qu’elle a été pensée pour contenter les policiers juste après la mise en examen de celui qui a tué mon frère en 2012. Si nous ne sommes pas vigilants, si nous ne nous mobilisons pas, elle arrachera à la vie d’autres petits frères, fils, pères, maris et amis.

Le combat doit continuer. Il continue pour toutes les victimes de violences policières et leurs familles à qui je souhaite dédier ces quelques lignes : Amine, mon frère déjà, je t’ai rendu justice, j’espère que tu trouveras la paix. Papa, maman, ta petite fille, nous tous pouvons commencer à faire notre deuil. Je pense aussi à Wissam El Yamni, Amadou Koumé, Lahoucine Ait Omghar, Abdoulaye Camara, Rémi Fraisse, Lamine Dieng, Ali Ziri, Hakim Ajimi, Mahamadou Maréga, Karim Tagbalhout, Jaouad Zahouia, Morad Touat, Zied Benna et Bouna Traoré, Hocine Bouras, Olivier Massono, Abou Bakari Tandia, Tina Seba, Babacar Gueye, Jean-Pierre Ferrara, Adama Traoré, mais aussi Théo Luhaka, et bien d’autres.
Le combat continue avec toutes les composantes de la société qui le souhaitent. Il est urgent, vraiment urgent, de se mobiliser. Ce sont majoritairement des Arabes et des Noirs qui meurent entre les mains de la police, mais ce combat ne doit pas être uniquement le leur. Il doit être soutenu largement par celles et ceux qui estiment que le respect des vies humaines et le respect de notre dignité ne saurait être fonction d’une couleur de peau, d’une religion ou d’une origine. À tous ceux là, je donne rendez-vous le 19 mars, lors de la Marche pour la Justice et la Dignité qui partira à 14h de la place de la Nation. Venez nombreux. J’ai besoin de vous. Les familles ont besoin de vous. En m’arrachant Amine, mon petit frère, ils ont volé une partie de ma vie. Je veux dédier la partie qui me reste à lutter pour la justice, la vraie… la seule qui apportera l’apaisement tant souhaité. Merci beaucoup.

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