Des retrouvailles à la victoire

Depuis son élection, Macron semblait suivre un chemin sans embûches ni obstacles, appliquant son programme avec une facilité déconcertante et une vitesse inédite qui pulvérisait toute révolte d’envergure. Dès la rentrée scolaire et sociale, l’enchaînement des réformes à un rythme effréné avait comme paralysé le camp des gens qui ne se résignent pas, qui cherchent à lutter, à défendre et gagner des droits, à bouleverser l’équilibre des rapports de force. Les ordonnances court-circuitaient de fait toute possibilité de construire une mobilisation et de l’inscrire dans la durée, maintenant dans un état de faiblesse et d’impuissance les tentatives pour réactiver une dynamique de lutte dans les lycées et les facultés, comme dans les différents secteurs du service public.

Mais depuis quelques temps, même au sein des relais médiatiques les plus fidèles du macronisme triomphant, commençait à poindre une inquiétude : va-t-il trop vite ? Ne court-il pas le risque de précipiter une agrégation des refus, une fusion des colères ? Car il importe de saisir que le néo-libéralisme est comme un puits sans fond. À peine est-on convaincu d’avoir atteint les limites du démantèlement des derniers résidus de l’État-providence qu’une avalanche de nouvelles réformes les repousse encore, s’attachant à détruire méthodiquement chacune des conquêtes sociales du siècle dernier. Le projet de réforme de la SNCF a sans doute été la brutalité de trop pour le gouvernement Macron – une erreur tactique qu’il nous incombe de transformer en étincelle. Car cette réforme n’est pas perçue comme une attaque ciblée, mais bel et bien comme un affront qui touche l’ensemble du service public et de ce qu’il représente pour les usagers.

La conséquence fut immédiate : ce 22 mars, plusieurs milliers de grévistes, provenant de divers secteurs de la société, ont pris la rue. Le temps d’une journée, lycéens, étudiants, cheminots, travailleurs du service public, usagers solidaires ont renoué avec l’espoir et la joie de pouvoir porter des coups au gouvernement Macron. Voilà bien longtemps que nous n’avions pas ressenti ce sentiment de réappropriation collective de notre propre force. Dense et déterminée, la tête de cortège parisienne créa la surprise par sa capacité à tenir un haut niveau d’affrontement tout au long du parcours sans jamais se laisser diviser. Surtout, elle a renoué avec l’une de ses dimensions essentielles - son hétérogénéité : syndicalistes ou autonomes, jeunes et moins jeunes, cagoulés ou non, tous ont remis au goût du jour le slogan « la grève est la fête véritable ».

À l’évidence, cette attaque contre les cheminots contient une charge symbolique puissante, à la fois pour le gouvernement, mais aussi pour notre camp, car nous savons tous que cette bataille se doit d’être livrée. Imposer à Macron un recul sur ce point : il ne s’agit pas bien sûr d’en faire notre horizon stratégique - ce qui nous enfermerait dans une position purement défensive et reconduirait la logique syndicale - mais de percevoir cette bataille et sa victoire possible comme un objectif en situation, qui permettrait de mettre en crise le plan gouvernemental et par conséquent d’amorcer une contre-offensive, ouvrant à de nouveaux possibles plus ambitieux.

Le printemps 2016 a soulevé toute une nouvelle vague militante et générationnelle autour de l’autonomie comme pratique politique à distance de l’État. Mais il ne faut pas oublier que nous n’avons, en fin de compte, pas réussi à obtenir le retrait de la loi travail et que, pour beaucoup de travailleurs, cela fut ressenti comme une défaite. Ces défaites qui découragent, démobilisent et tendent à créer de la passivité. Il s’agit donc d’avoir un regard réflexif sur ce qui nous a manqué et ce que nous avons acquis entre temps, pour enrayer ce cycle d’échecs dont nous n’arrivons pas à sortir depuis plusieurs années, pour – enfin – reprendre l’initiative.

Nous ne prétendons pas délivrer de propositions stratégiques générales, car nous considérons qu’à l’heure actuelle, les cheminots sont les seuls à disposer d’un plan. Les grèves perlées annoncées à la SNCF ont pour objectif de déstabiliser l’ensemble du secteur ferroviaire. En effet, les deux journées de grève par semaine perturberont en réalité le trafic durant plusieurs jours. Cela s’explique par le protocole de sécurité qui est obligatoire avant de relancer les trains, c’est-à-dire qu’une grève d’un jour aura des conséquences dès le lendemain et le surlendemain. Cependant, il semble nécessaire de considérer que nous disposons aussi d’un rôle et d’une marge de manœuvre, que l’on soit militant, étudiant, lycéen, travailleur d’un autre secteur ou usager solidaire. Faisant suite à des discussions diverses et des impressions sur la situation, nous proposons quelques éléments de réflexion, dont nous espérons qu’ils permettront aux lecteurs de s’en saisir pour nourrir la leur.

Cortège de tête : noir & rouge

D’aucuns considéraient le cortège de tête comme une forme désormais périmée, incapable de produire autre chose qu’une ritualisation identitaire et répétitive de l’entre-soi gauchiste. Il n’en est rien. Cette entité multiple qui se veut en opposition aux bureaucraties syndicales et porteuse d’un imaginaire révolutionnaire renouvelé n’a rien perdu de son potentiel subversif. Toujours aussi nombreux sont ceux qui continuent à le rejoindre. La limite de l’affrontement de rue et l’impossibilité de sortir réellement du parcours officiel sont évidents, mais le cortège de tête n’est pas qu’un moment dans la manifestation. C’est une représentation de ce que nous voulons et de ce que nous ne voulons pas. La société marchande et policière est attaquée. Les tags, affiches et banderoles illustrent nos envies et perspectives par le détournement et le langage. De fait, les syndicats s’y sont habitués et ne le remettent plus en cause. Des travailleurs, syndiqués ou pas, s’y aventurent de plus en plus. En somme tout le monde a accepté ce fait – les manifestations ne seront plus jamais comme avant.

Pour autant, le cortège de tête reste un espace incompris et perçu comme « dangereux » par beaucoup de travailleurs. Bien évidemment, il ne s’agit pas de renier ce que nous sommes, mais de reconsidérer notre rapport à ces milliers de personnes, pour progresser dans la liaison, l’échange d’expériences, l’indistinction combattante. Le rapprochement avec les syndicats est possible. C’est le cas dans de nombreuses villes. Partir à leur rencontre sur les points de blocage et de grève semble une évidence logique. Tout comme, par exemple, s’habiller avec des chasubles de syndiqués pour signifier qu’il n’y a pas d’opposition et de volonté de s’en prendre à eux – ce que beaucoup ressentent encore. Rajoutons à cela que des tracts présentant ce qu’est le cortège de tête, au-delà des pratiques offensives, permettraient de susciter des discussions et des débats à l’arrière de la manifestation, puis de renforcer le devant.

Répression & Auto-défense

Lors du quinquennat de Hollande, personne ne pourra nier que les lycéens ont été à la pointe de la reconfiguration des pratiques politiques, de leurs contenus et de la conflictualité vis-à-vis de l’État. À la suite du mouvement contre la loi travail, la préfecture a changé de stratégie et déploie systématiquement des policiers aux abords des lycées pour intimider les élèves et empêcher les blocages. Le « blocus » permet de libérer du temps, de banaliser les journées de cours, pour que les élèves se mobilisent massivement. Le retour du « 11h Nation » et les quelques blocus de ce 22 mars ont démontré qu’il était encore possible de compter sur cette frange de la jeunesse. Il ne tient qu’aux étudiants d’aider les lycéens à se procurer du matériel et d’être présent le matin pour déjouer l’intimidation policière. Dans l’idéal, s’inspirer des connexions entre lycéens et syndicalistes à Nantes serait l’hypothèse maximale et démontrerait une solidarité en actes qui serait synonyme d’alliance prometteuse.

En réalité, la pression policière permanente témoigne d’une réelle crainte de voir la jeunesse prendre de nouveau massivement la rue et porter des gestes offensifs. De même, les occupations à l’université doivent également faire face à des expulsions de plus en plus violentes, qu’elles soient menées directement par la police (dans la plupart des cas), ou, comme à Montpellier, par l’intermédiaire de nervis d’extrême-droite masqués et armés – dans la plus pure tradition des méthodes du fascisme patronal post-68. Tout ceci nous impose la réflexion suivante : il devient nécessaire de constituer des groupes d’auto-défense afin de protéger les luttes et de briser les initiatives ennemies. Il s’agit que la peur change de camp, que les milices du type de celles envoyées par le bien-nommé Pétel comprennent qu’elles ne pourront plus reproduire leurs expéditions punitives sans rencontrer une résistance déterminée, et qu’elles ne trouveront pas toujours face à elles des étudiants démunis et désarmés. Occuper un espace à l’université c’est immédiatement déployer un contre-pouvoir qui destitue en un point le pouvoir académique, libérant une zone où son contrôle devient inopérant. Or comme chacun sait, dans une situation de double-pouvoir quelle qu’elle soit, c’est au final le plus souvent la force qui tranche. À l’évidence la force n’était pas de notre côté à Montpellier : il se pourrait que ça change. Rendons coup pour coup.

Occupations

Pour autant, et malgré la répression, des assemblées conséquentes se sont tenues dans diverses villes de France et les expulsions sont continuellement suivies de réoccupations. Le geste d’occuper, de prendre un lieu et de le tenir, se propage à travers le territoire, partout les gens comprennent qu’il est incontournable de se munir d’espaces pour se retrouver et s’organiser, de disposer de bases matérielles pour accroître notre puissance.

Cependant la question des occupations est parfois mal posée. La tendance à « occuper pour occuper » est souvent prédominante par rapport à celle qui se poserait d’abord la question de savoir « que faire à partir d’une occupation ». Les récentes occupations (à l’exception notable de celle de Paris 8 qui s’est dès le début constituée pour et avec les exilé-e-s) ont démontré qu’elles se soldent bien trop souvent par un vide – un vide de contenu politique et aussi, petit à petit, un vide numérique. Repenser les occupations revient à prendre en compte les besoins matériels pour pouvoir tenir, ainsi qu’à considérer la nécessité d’articuler un discours politique à partir de l’événement, pour faire sens et agréger du monde. Il s’agit donc de décloisonner les occupations d’amphithéâtres et autres espaces, d’en faire des lieux de croisement et d’organisation pour toutes les composantes de la lutte.

Coordination

Les prochaines assemblées qui se dérouleront dans les lycées, les facultés ou ailleurs, devront être en mesure de dépasser un niveau d’organisation purement local. La pertinence de l’échelon local ne doit pas être niée, mais se regrouper au-delà permet de faire naître une effervescence collective et, surtout, de multiplier les possibilités d’action. Le cortège de tête en est la preuve. Lors des coordinations, nous savons tous que les discussions sont souvent ardues et complexes, mais elles permettent de ressortir au minimum avec des dates communes, de présenter les objectifs de chaque faculté et de comprendre quels sont les besoins un peu partout. De plus, cela permettrait de constituer un groupe inter-facultés qui pourrait se charger de faciliter les rencontres avec les cheminots et de transmettre les informations pour permettre au plus grand nombre de prendre part aux actions à venir, voir d’en proposer.

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