[Histoire des peuples des forêts] QUILOMBOS DOS PALAMARES

Le mardi 13 novembre, à 20h30, Jean-Baptiste Vidalou vient présenter à Rouen son essai « Être forêts », habiter des territoires en luttes. Pour en savoir plus sur cet ouvrage, vous pouvez lire l’article de Lundi.am.
Pour accompagner cette présentation, voici un exemple de peuple des forêts issu de l’histoire du Brésil.

QUILOMBOS DOS PALAMARES

Palmares fut, durant la plus grande partie du XVIIe, le plus organisé et le plus durable des territoires autonomes d’esclaves marron, ou quilombo en portugais, du Brésil. Il parvint, pendant près d’un siècle, à tenir en échec les expéditions militaires hollandaises et portugaises, constituant ainsi la révolte d’esclaves la plus longue de l’histoire.

Rappel des faits

Au début du XVIIe siècle, des esclaves noirs travaillant sur les plantations de canne à sucre dans la capitainerie du Pernambouc, dans le Nordeste du Brésil, se révoltent et s’enfuient dans les montagnes. C’est alors qu’ils fondent Os Palmares, A Angola Janga ou Nova Angola, aux alentours de la montagne Barriga, un territoire autonome d’esclaves libres où vivaient aussi des Indiens, des Mulâtres et de nombreux Blancs. Ces derniers étaient des soldats déserteurs ou des paysans sans terre.
Peu à peu, ce mouvement entraîne une multitude de rébellions d’esclaves dans les régions avoisinantes. De plus en plus d’entre eux se libèrent et se joignent à la communauté de Palmares. Celle-ci devient une sorte de terre promise pour les esclaves et ne cesse de s’agrandir, comptant jusqu’à 30000 membres. Les esclaves libérés y reproduisent un mode de vie en communauté, semblable à celui que pratiquaient leurs ancêtres sur les terres d’Afrique. Chacun joue son rôle et travaille pour la collectivité. Il n’y existe pas d’organisation hiérarchique entre les membres, seuls quelques chefs de guerre servent de guides et de stratèges pour les actions de défense.
On y pratique des cultures multiples, une céréaliculture variée inspirée des traditions africaines : manioc, haricots noirs, maïs..., quasiment inexistante chez les colons. En effet, les Portugais se concentraient sur la culture de produits rentables car facilement exportables vers l’Europe, en produisant presque uniquement du sucre de canne. Cette variété des productions restera une grande richesse dans la région.

La répression portugaise

De violentes attaques de l’armée portugaise tentent d’éradiquer les Palmares, mais en vain. Les guerillas menées par les insurgés dans la jungle ont raison de l’expérience des soldats de la couronne portugaise.
Aux alentours de 1630, les Hollandais, qui tentent de prendre le Brésil aux Portugais, progressent, depuis les côtes, dans le nord du pays. Ils essaient à leur tour de détruire le quilombo, mais ils sont violemment repoussés. Dans les premiers jours de combats, dès que les Portugais ont évacué Olinda, les esclaves se soulèvent et commencent à incendier la ville.

« Les esclaves profitèrent de l’occasion pour devenir les maîtres de leurs propres maîtres, montrant bien ainsi que c’est la violence qui les maintenait en condition servile, et non le devoir, et cessant de s’acquitter de leurs tâches quand la liberté les appelait. » [1]

Si la plupart des Indiens se rangent alors du côté des Hollandais, les esclaves noirs, en revanche, refusent de s’allier à quelque belligérant.
Il n’y a pas vraiment de rébellion noire à Pernambouc : les esclaves prennent la fuite, une fuite continue vers les régions de l’intérieur, au sud-ouest, où ils savent pouvoir survivre librement, même si tous ne parviennent pas jusqu’au Palmares.
En 1654, les hollandais sont définitivement chassés du continent par les Portugais.
En 1678, Pedro de Almeida, gouverneur du Pernambouc, qui est plus favorable à une soumission des membres du quilombo qu’à leur destruction, propose une trêve à un des chefs de guerre de Palmares, Ganga Zumba, en lui assurant que les insurgés seront pardonnés et non exécutés. Celui-ci accepte.
Le chef de guerre qui restera le plus célèbre, Zumbi Dos Palmares, pressent que cette offre portugaise vise à mettre fin à la rébellion et refuse catégoriquement que son peuple se rende. Il prend, en 1680, la tête de la résistance contre l’ennemi portugais. Quinze années durant, les troupes royales seront déconcertées par la vigueur de l’imprenable quilombo.
En 1694, appuyés par une lourde artillerie, les commandants portugais Domingos Jorge Velho et Bernardo Vieira de Melo mènent l’assaut final contre la Cerca do Macaco, principal centre du territoire autonome. Zumbi réussit à s’enfuir et à se réfugier dans la Serra Dois Irmãos, mais mourra finalement au combat le 20 novembre 1695.
Les survivants de Palmares s’enfuirent vers la capitainerie de Paraíba, ou se fondirent dans les forêts de la région, créant de nouveaux quilombos.
L’accroissement de population des quilombos et leur renforcement leur permet vite d’entreprendre des actions armées contre des agglomérations ou des plantations de la région côtière.

On peut lire plusieurs interprétations de cet immense mouvement que furent les quilombos.

Ils ont parsemé le territoire.
Même après après l’abolition, quantité de quilombos ont survécu et se sont perpétués jusqu’à aujourd’hui sous la forme de communauté noires vivant dans un relatif isolement dans certaines régions.
La principale source d’infos sur les quilombos vient finalement de l’Etat : gouverneurs, commandants, soldats engagés dans leur répression et leur destruction. Les historiens se heurtent à la méconnaissance de tout ce qui constituait la réalité vivante des sociétés quilombolas au-delà du rapport antagoniste et conflictuel avec le monde colonial. L’approche a donc été faite inévitablement en termes de campagnes militaires et de chroniques de guerre, de désorganisation économique et sociale pour la colonie.
Les habitants des quilombos étaient ainsi désignés, au même titre que les indiens, comme « l’ennemi intérieur ».

1. L’interprétation dite « culturaliste »

Dans les années 1930 au Brésil.
Cette perspective pose que l’organisation des grands quilombos est la réponse à l’acculturation violente subie par les Africains, à travers le repli sur un fonds africain sans doute diminué mais obstinément vivace.
Plus récemment, d’autres chercheurs s’efforcent de la même façon de dégager dans les Palmares les marques incontestables d’un authentique État africain au cœur du Brésil. Ces interprétations posent « la vision du quilombo comme projet restaurationniste » (J. J. Reis) signifiant par là que les fugitifs avaient pour objectif de recréer une Afrique sur leur nouvelle terre.
Cet hypothétique projet africaniste est en même temps celui qui est le plus à même d’offrir une base concrète et exemplaire à une idéologie alternative de type populaire et communautaire en opposition aux structures et aux régimes inégalitaires et oppressifs de la plupart des pays d’Amérique latine.
Cette hypothèse est réactivée au moment des mouvements de résistance à la discrimination raciale.

2. L’interprétation marxiste

C’est celle de l’historiographie de la seconde moitié du XXe siècle.
Les analyses qui en résultent insistent sur la valeur des quilombos comme modèles d’une société égalitaire, sans classes, ignorant l’exploitation de l’homme par l’homme, un monde à l’opposé de la société esclavagiste, et en dernière analyse du capitalisme lui-même. Ils mettent en avant l’antagonisme total entre les deux types de société et focalisent leur vision sur les combats, les luttes et les guérillas.
L’impuissance des quilombos à renverser la société esclavagiste est alors analysée en termes de niveaux de conscience de classe et de conscience politique : les Quilombolas ont « échoué » parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’accéder à une conscience des rapports de classe et de force, et d’un rôle historique qui leur aurait permis de rassembler la masse des esclaves et de prendre le pouvoir.

Leur échec à percevoir la situation réside dans l’approche uniquement belliciste de la situation : parce que l’histoire des quilombolas sert le propos du combat populaire contre les régimes totalitaires, la vie des Quilombolas en dehors de leurs combats avec les forces coloniales est peu prise en compte.

3. L’utilisation militante

Palmares fut assez tôt brandi comme emblème de la lutte contre la discrimination raciale.
1926 : fondation à São Paulo le Centro Cívico Palmares
1929 : parution du journal Quilombo à Rio de Janeiro
1971 : le Grupo Palmares est créé à Porto Alegre (groupe politique de noirs)
Au moment où s’intensifient les luttes contre la discrimination raciale au Brésil, dans les années 1970, la réhabilitation des Afro-brésiliens passe par la valorisation d’évènements à connotation épique démontrant la capacité guerrière et sociale des Noirs, leur héroïsme, en opposition avec les stéréotypes racistes les peignant comme une humanité inférieure et passive.

4. L’histoire racontée par Benjamin Péret

Benjamin Péret publie en 1956 La Commune des Palmares. En 1931 il est expulsé du Brésil pour ses écrits en tant qu’agitateur communiste. Il y reviendra en 1955 où il rédige cet ouvrage. Il permet de voir comment le grand quilombo du XVIIe siècle dans Pernambouc a été perçu par un représentant d’une certaine intelligentsia française comme moment et espace de la résistance de tous les opprimés.

Trianon Transatlantique
114 Avenue du 14 Juillet,
76300 Sotteville-lès-Rouen,

Notes

[1Décio Freitas, Palmares, a guerra dos escravos, p. 55.

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