La rentrée est annulée

Passons sur les multiples contradictions du Ministre de l’Education Nationale ces dernières semaines, car même si son discours avait été le même chaque fois, il se tient à une distance telle de ce que signifie l’école concrètement, qu’aucun protocole, parfaitement réalisé, par le meilleur technocrate, ne permet d’envisager une reprise de l’école sereine et bénéfique pour qui que ce soit.

Les intérêts de l’Etat sont bien ailleurs, on le sait, mais il paraît nécessaire de se doter de quelques éléments pour bien comprendre quelle rentrée Il tente de nous imposer et comment y faire face.

Quelques éléments sur la « continuité pédagogique » en temps de confinement, et le récit qu’en a fait le pouvoir.

Un article d’un blog de Médiapart : Ne laissons pas le pouvoir voler le récit de l’école au temps du confinement, nous invite à nous interroger sur le myhte qu’essaie de créer le pouvoir sur la continuité pédagogique.
« Il est impressionnant de voir comment le pouvoir, sensible à ce qui se dit de la réalité vécue du confinement, cherche à imposer son récit face aux acteurs du monde réel qui convergent sur beaucoup de points, tant dans les foyers que dans les institutions. Pour l’école, il est important que ceux qui travaillent gardent la maîtrise du récit face aux silences, aux demi vérités, voire aux mensonges. »
Vous pouvez lire à ce sujet d’autres articles parus sur à l’ouest (Ce que le coronavirus fait à l’enfance, Une illusoire continuité pédagogique,A propos de « l’école à la maison » : il faut oser dire qu’il n’y aura pas eu de cours) qui reviennent déjà sur l’illusion mise en place par le pouvoir d’une école qui continuerait comme avant.
Ce qui nous a semblé intéressant dans cet article-ci est qu’il invite à ne pas laisser ce mythe continuer à s’écrire par le pouvoir, mais bien écrire nous-même ce qu’aura été l’école au temps du confinement :
« Le plus souvent ce qui manque lors des sorties de crise c’est le détail du récit de la crise pour pouvoir y donner les bonnes réponses. Compte tenu des enjeux, il est essentiel que collectivement personnels, syndicats, personnes engagées et éclairées en matière éducative gardent la mémoire de ce qui se dit et se passe pour pouvoir, le moment venu, ressortir le réel vécu face aux récits mythiques que l’on prétendra nous imposer. »

Ne nous y trompons pas, le pouvoir est déjà en train de collecter les informations qui mettront en avant les héros du confinement et écraseront ceux qui ne se sont pas pliés à la discipline exigée par la continuité pédagogique numérique : dans l’Ariège, la FSU publie ainsi un communiqué le 24 avril en réponse à un courrier du DASEN aux IEN et chefs d’établissement de l’Ariège datant du 17 avril. Car ce courrier invite les IEN et chefs d’établissements à ficher les bons et mauvais enseignants et AESH pendant le confinement.
Vous pouvez retrouver ce communiqué ici.
Ci-dessous un extrait du courriel du DASEN dont il est question :
« Engagement des personnels :
Il reste important d’avoir une juste connaissance de l’engagement des différents personnels placés sous votre responsabilité, aussi est-il nécessaire de :
– Garder mémoire des enseignants volontaires pour l’accueil des enfants des personnels prioritaires
– Garder mémoire et transmettre chaque semaine la liste des enseignants volontaires et présents pour l’accueil des enfants des personnels prioritaires
– Etablir un état des lieux précis du soutien scolaire effectué durant la semaine du 14 au 17 avril pour transmission
– D’une manière générale garder mémoire nominative des engagements remarquables et remarqués l’inverse est aussi vrai…
Continuité pédagogique :
Je vous remercie d’établir un point de situation synthétique des 4 semaines écoulées en matière de continuité pédagogique et de manière tout autant synthétique de la perspective pour les 3 semaines à venir. […] Si le retour attendu doit être synthétique, je vous invite cependant à être le plus exhaustif possible sur votre connaissance et votre vigilance sur la situation et l’implication de chacun. »

Les protocoles pour la rentrée du 11 mai :

D’abord, il est intéressant de se pencher sur cette enquête de l’Observatoire National de la Sécurité et de l’Accessibilité des établissements d’enseignement : au début de l’épidémie du Covid-19, l’ONS a interrogé les établissements du 1er et 2d degrés : étaient-ils en mesure de rendre effectifs les gestes barrières préconisés par les instances sanitaires et gouvernementales ?

Communiqué de presse de l’ONS

Par ailleurs, le 22 avril, la FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves) publiait un communiqué de presse dénonçant les choix du gouvernement pour la reprise des classes, notamment dans la mesure où ils ne s’étaient pas faits en concertation avec les parents d’élèves. Le communiqué s’arrête par exemple sur les anomalies d’un protocole qui ne prend jamais en compte les spécificités des écoles, des salles de classe pour établir ses normes de rentrée :
« Ainsi, décider d’un « plafond » de 15 élèves par classe n’a de sens que si on connaît l’aménagement du bâtiment ou encore la taille des salles des établissements tout comme définir une organisation du temps scolaire sans prendre en compte les transports scolaires, la restauration, l’internat et le périscolaire. Opter pour des demi-groupes, sans que l’on sache comment les parents pourront accompagner leurs enfants durant les cours à distance (sachant de surcroît que le congé maladie pour rester auprès de ses enfants sera supprimé le 1er mai) ni comment les enfants suivront durant une semaine un enseignement à distance sans leur enseignant, est incompréhensible. Envoyer en premier lieu les plus jeunes enfants peut aussi poser question, sachant qu’il aurait été probablement préférable de rescolariser d’abord les plus autonomes, donc les plus âgés. »
L’association appelle donc les parents à se ressaisir des protocoles mis en place dans les établissements scolaires et à ne pas se laisser gérer par un Etat qui dysfonctionne jusque dans ses protocoles sanitaires.

Communiqué de presse FCPE

La FCPE rejoint évidemment en ces points nombre d’enseignants qui ont déjà fait les calculs pour leurs propres classes : car les recommandations de distanciation avec les effectifs annoncés par le gouvernement ne prennent notamment pas en compte les meubles, le matériel présents dans les classes.

Vous pouvez trouver ici le protocole sanitaire pour la réouverture des écoles maternelles et élémentaires.

Protocole sanitaire pour la réouverture des écoles maternelles et élémentaires

Ce protocole nous dit par exemple :
« L’organisation mise en place dans les écoles doit permettre de décliner ce principe dans tous les contextes et tous les espaces », sur les 1 mètre de distance.

Une enseignante a fait ainsi ce calcul :
« Considérant qu’un enfant occupe un espace de 50 cm de diamètre et qu’il doit y avoir autour de lui un mètre de distance cela fait un cercle avec un rayon d’1, 25 m. Si je ne me trompe pas l’aire devrait être 3.14x1.25x1.25 = 4.90 m2 soit pour 15 élèves et un enseignant 78.5 M2 surface à laquelle il faut ajouter l’emprise des armoires, bibliothèques, etc. Au bas mot, pour 15 élèves 85 à 90 M2. »
Je ne connais pas d’école ayant cette capacité.

Un autre se lance même dans des plans :
« j’ai fait ce plan avec pour hypothèse une salle des classes de 6 m par 7 m, sans le professeur, avec 15 ronds représentants 15 élèves, pas de meubles. Hypothèse 1 : 1 m de distance sociale ce qui suppose également que les élèves restent bien droit sur leur chaise, ne se tournent pas en se rapprochant pour parler à leurs camarades. Hypothèse 2 : avec 1,50 mètre de distance et toujours 15 élèves. A noter : on parle en France de 1 mètre de distance sociale, en Belgique c’est 1,50 mètre, en Suisse et au Canada, c’est 2 mètres (source = sites ministériels de ces pays)... »

Hypothèses de plans de classe

Une collègue lui répond : « ce plan ne prend pas en compte les espaces de circulation indispensables, ni la réalité du terrain ( meubles existants type armoires, rangement etc...) Ni la présence du professeur avec son espace et la possibilité minimum d’aller au tableau. Mais même avec cela on voit l’impossibilité.
De plus, je n’ai que des tables pour 2 la mairie viendra me livrer des bureaux individuels ? Et viendra les mettre en place d’ici le 11 ? Pendant que je mettrai tous les matériels collectifs, jeux et livres à l’abri pour ne pas qu’ils s’en servent et qu’ils ne soient pas contaminés si moi je veux m’en servir pour lire une histoire ou mettre en lien avec une notion mathématique par exemple. . . »

Tout ceci sans oublier ce que nous explique Lydia Bourouiba, professeure d’ingénierie civile et environnemental au MIT dans cet article sur ce qui se passe en cas d’éternuement :
« Sans le nuage, les gouttelettes de plus de 100 micromètres se propagent jusqu’à 2 mètres, alors que les petites (de 1 à 50 micromètres) n’atteignent pas un mètre. Mais en prenant en compte le nuage, ce sont les grosses qui tombent en premier et les petites gouttelettes peuvent aller jusqu’à 6 mètres. »

Le choix des élèves pris en charge :

Partons d’un exemple posté sur le groupe « Stylos rouges 78 » :
« Nous avons eu une visio avec l’IEN et il me semble bien que le discours des IEN est normalisé et que leur mission est d’appliquer les consignes officielles.
Alors pourquoi autant de sons de cloches différents circulent sur ce site ?
Voici ce qui nous a été dit clairement pour nous PE (Professeur des Ecoles) :
Nous devons prendre en priorité les enfants des soignants, en deuxième les enfants des parents qui travaillent (chauffeurs de bus, police...) et en dernier les élèves en difficulté. Donc on nous a menti on ne prend pas en priorité les élèves décrocheurs.
Nous avons le droit de prendre les élèves en demi journée. Alors que Blanquer avait dit non.
Les enseignants qui ont commencé l’enseignement à distance ont le choix de le poursuivre ou pas.
Les enseignants à risques ne viennent pas ainsi que ceux qui ont une personne vulnérable à la maison.
Alors, c’est quoi ce bordel ? Y a-t-il un discours unique ou une cacophonie générale ?
Blanquer nous dit que les familles fragiles pourront envoyer leurs enfants à l’école pour qu’ils puissent aussi manger à la cantine, comment est-ce possible ? puisque beaucoup de communes n’ouvriront pas les cantines et que les élèves devront emmener leur repas.
Et enfin dernier constat, étant donné que nous devrions prendre en priorité les enfants de ceux qui travaillent cités ci-dessus, en ce qui concerne notre école, ce ne sont pas ceux-là qui sont en difficulté. »

Pourtant, dans un courrier conjoint du préfet de Seine-Maritime et du DASEN (Directeur académique des services de l’Education Nationale de la Seine-Maritime) aux maires, datant du 2 mai 2020, on peut lire :
« La réouverture progressive des écoles à partir du 11 mai constitue un élément majeur de cette stratégie de déconfinement. Elle répond, dans le strict respect des mesures de sécurité sanitaire, à un impératif de justice sociale pour permettre notamment aux élèves les plus fragiles de consolider leurs acquis et de ne pas creuser davantage des écarts accentués pendant le confinement. »
Encore un mythe de l’Etat qu’il est juste de contredire dès maintenant.

Courrier conjoint du préfet et du DASEN aux Maires

Un point juridique

Plusieurs avocats se sont penchés sur la question de la responsabilité des personnels en contact avec les enfants en cas de contamination voire de décès suite à cette reprise.

Le site SOS enseignants propose une réponse de Laurent Hazan, avocat, qui semble complète et recouper les différentes informations parues :

  • Les personnels de direction sont notamment en charge de la sécurité des élèves et des personnels. A compter du 11 mai prochain, ils devront dès lors veiller à la mise en place et au respect dans leur école des modalités et consignes sanitaires issues des lois et règlements qui seront prises à cet effet par le gouvernement. 
  • En cas de défaillance, ils pourraient être poursuivis. Le cas échéant, il appartiendrait au Procureur de la République d’établir que le directeur ou le chef d’établissement « n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».
  • La responsabilité des personnels de direction n’exonère pas celle des enseignants. En effet, il appartiendra aux enseignants d’appliquer strictement les obligations sanitaires et les consignes particulières du directeur ou du chef d’établissement. En cas de défaillance, ils pourraient également être poursuivis pour « violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». Ainsi les enseignants seront fautifs s’ils n’appliquent pas dans leurs classes et à l’égard de leurs élèves les obligations légales et réglementaires mais également - et c’est important - s’ils acceptent de faire cours tandis qu’ils ont constaté que les mesures sanitaires mises en place sont insuffisantes (ou trop difficiles à faire respecter) pour garantir la sécurité des élèves. Dans ce cas, l’on pourrait leur reprocher d’avoir commis « une faute caractérisée qui a exposé leurs élèves à un risque d’une particulière gravité qu’ils ne pouvaient igonorer ». Ils devront donc être vigilants, apprécier la situation et, en cas de difficultés, réagir immédiatement pour ne pas exposer leurs élèves.
  • Cependant, comme en « temps normal », les enseignants ont une obligation de moyen et non de résultat. Cela signifie que leur responsabilité ne sera actionnée que s’il est établi qu’ils n’ont pas fait tous leurs efforts, compte tenu des circonstances et des moyens dont ils disposaient, pour prévenir l’accident.
  • A noter, notamment pour les parents d’élèves : de nombreux personnels de direction envisagent de faire signer aux parents une décharge de responsabilité. En aucun cas, cette décharge ne peut les exonérer de leur responsabilité et ils risquent des sanctions disciplinaires s’il les font signer aux parents.

Infos diverses :

  • Le 27 avril 2020, 36 maires de la Métropole Rouen Normandie adressent un courrier au préfet et au DASEN, dont voici quelques extraits :
    « Nous, Maires de la Métropole Rouen Normandie, sommes face à de multiples interrogations quant à la faisabilité d’une telle organisation, dans un délai aussi court, à si brève échéance de la fin d’année scolaire alors que nous sommes confrontés régulièrement à des informations qui nous parviennent trop souvent contradictoires.
    Nous savons que les règles de confinement n’ont pas été respectées par tous et nous ne sommes pas enclins à rassembler des enfants dans des structures qui ne nous permettent pas de les accueillir dans les meilleures conditions de distanciation physique. [...]
    Considérant que nous n’avons ni les structures d’accueil suffisantes, ni le personnel pour faire face à un tel dispositif dans un délai aussi court ; Considérant que la confiance des parents d’élèves ne semble pas répondre favorablement aux propositions faites par le gouvernement et que beaucoup de parents se disent prêts à ne pas mettre leurs enfants à l’école ; Considérant que le gouvernement ne peut apporter toutes les conditions de sécurité sanitaire à nos populations ;
    Nous souhaitons des directives plus claires et un accompagnement de l’Etat, ainsi qu’une garantie quant à la maîtrise du Virus comme des informations qui nous sont communiquées. Pour le moment, nous sommes beaucoup de Maires à penser qu’un retour en classe le 11 mai serait prématuré. »
    Courrier des Maires au préfet et au DASEN
  • Une réunion réunissant les IEN de Rouen et la mairie de Rouen se tiendra demain (lundi 4 mai), suite à quoi les décisions de réouverture seront communiquées aux chefs d’établissement.
  • La coordination nationale de l’éducation a publié mercredi 22 avril un appel à refuser toute reprise tant que les conditions sanitaires ne sont pas réunies. « Pour montrer et faire connaître le refus de la décision de rouvrir les écoles et établissements scolaires alors que les conditions sanitaires ne sont pas réunies, la Coordination nationale de l’Éducation mettra en place une carte collaborative des prises de position sur le 11 mai. »
    Appel de la coordination nationale de l’Education du 22 avril 2020

Il semble donc plus que judicieux de se poser la question de la reprise, que ce soit du côté des enseignants comme de celui des parents d’élève. Il est possible de maintenir une pression sur les élus, de donner des attestations de non possibilité d’accueil à tous les parents qui le demandent, de bien observer les possibilités de droit de retrait pour les enseignants...
Et au-delà, ré-interroger un système éducatif qui ne tient compte ni des personnels, ni des élèves, ne prend en considération aucun des objectifs premiers de l’éducation.

Over the edge, Jonathan Kaplan, 1979
PS : Des instituteurs de l’Essonne déposent un préavis de grève « du 11 mai au 4 juillet ». Pour les détails, vous pouvez lire ici.

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