Dossier prison #3 - L’Islam en prison – vu par des détenus musulmans « Islamalgames »

Nous sommes un collectif de détenus qui a trouvé un espace de parole. Pour de multiples raisons de sécurité, c’est la seule information que nous décidons de communiquer. Le type d’établissement, l’endroit de nos incarcérations, le contexte dans lequel nous nous exprimons, tout ceci restera secret. Dans la lignée d’Antonin Bernanos qui s’est récemment exprimé depuis Fleury, nous souhaitons nous aussi raconter notre quotidien.

Nous, détenus musulmans, nous constatons un amalgame entre musulmans pratiquants et extrémistes. Nous constatons un amalgame entre les détenus qui se tournent vers la foi, vers Dieu, et la personne qui se tourne vers l’extrémisme.

Nous avons connaissance que des rapports sont écrits parfois par l’Administration Pénitentiaire en lien avec la pratique religieuse. Chaque acte religieux nous semble sujet à interprétation. Nous avons remarqué que, par exemple, si nous fréquentions trop certaines personnes, des personnes elles-mêmes dites radicalisées, notre compte est bon. Nous considérons qu’il n’y a aucune échelle logique pour juger la pratique religieuse d’autrui, de la mesurer sans unité de mesure. Aujourd’hui, nous remarquons qu’une barbe qui pousse chez un musulman est un signe suffisant pour l’Administration Pénitentiaire d’une pseudo radicalisation, d’un suivi, d’une fiche S.

Moi, X, par exemple, je n’ai pas changé depuis 18 ans que je suis en prison. Mais par rapport aux événements, l’interprétation de mes comportements, les mêmes depuis 18 ans, a changé. Le fait d’avoir une barbe, d’être musulman, ça n’est plus sujet aux mêmes interprétations. Depuis l’affaire Merah, la stigmatisation des musulmans en prison s’est accentuée, les fouilles intensifiées.

Nous avons l’impression que la plus grande crainte, autrefois, c’était « l’évasion », et qu’aujourd’hui, c’est l’Islam. On nous fait comprendre, lors d’entretien, d’échange avec l’administration, qu’on nous considère comme des radicalisés, qu’on ne doit pas faire de prosélytisme, on nous menace. Les isolements se sont développés, comme s’ils voulaient faire du chiffre, qu’ils voulaient extérioriser l’idée qu’ils font quelque chose contre la radicalisation. Pour nous, musulmans, les retombées sont lourdes : fiches S, pas d’aménagement de peine, pas de permission de sortie, regards particuliers, harcèlement, insinuation... Il y a une fixation autour de ce sujet, mais il n’y a aucun outil pour régler la situation. Alors ça retombe sur nous, sur tous les musulmans des prisons.

Ils ont inventé la RPE, et tu peux gagner un tiers de ta peine si tu balances, si tu donnes des informations sur les autres. Tout ça, ça contribue à nous stigmatiser.

Nous, nous souhaitons continuer de vivre notre religion normalement, ça nous est égal le regard des surveillants et de l’administration pénitentiaire, tant pis pour les éventuelles remises de peine, on n’a pas le choix. De toute façon, nous sommes otages. Si on pratique la religion normalement, nous sommes vus comme des radicaux, et si on joue le jeu de la prison, ils pensent qu’on fait semblant pour cacher nos véritables intentions. Si on se rebelle contre les injustices, si on pète un câble après des années de refus en tout genre, on nous pointe du doigt et on dit, « ça y est, voilà, c’est la radicalisation qui s’exprime ». Le pire, c’est que toute cette logique de pseudo lutte contre la radicalisation, c’est du pain béni pour les Daesh et compagnie. Ils récupèrent les victimes des injustices.

Voilà comment ça marche parfois : il existe un dossier, sur chaque détenu, appelé le dossier GENESIS. Dedans, il y a tout ton parcours de détenu, du début à la fin, chaque petite note y est inscrite. Si un chef, un jour, sur une idée subjective, pour une raison quelconque, potentiellement parce qu’il ne t’aime pas, écrit une note faisant allusion à un doute quant à une radicalisation, c’est inscrit dans le dossier. L’idée, elle va te suivre, te coller à la peau. Tous les nouveaux directeurs, les nouvelles personnes de l’Administration Pénitentiaire que tu rencontres, ils vont lire cette note, ils seront vigilants, et l’idée va rester, ton comportement sera interprété. Un mec, en 5 minutes, il peut changer ta vie en prison pour tout le reste de ta peine.

Certains d’entre nous ont déjà essayé de discuter avec eux, avec l’administration pénitentiaire. Nous avons parlé de nos projets, de nos vies, des préjudices que cette idée de radicalisation nous portent. Nous avons essayé de parler de notre religion. Mais quand tu parles bien en prison, tu es taxé de manipulateur, de dangereux. Encore une fois, t’es otage du système.

L’Islam en France, c’est devenu un bouc émissaire. En prison, c’est la même chose.

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