La Legal team Rouen au tribunal

Des membres de la Legal Team Rouen ont assisté à deux jours d’audience au tribunal correctionnel. Ils nous livrent leurs impressions et leurs souvenirs. (Partie 1)

C’est lundi.
Au tribunal de grande instance de Rouen, les gardés à vue du week-end vont comparaître. Leurs proches sont en avance dans la salle des pas perdus.
A l’entrée, les policiers du portique contrôlent les sacs à main et demandent aux gens où ils se rendent. On n’est pas obligé de présenter sa convocation, mais ça incite : ici, on a des comptes à rendre à tout le monde.
Dans la salle du tribunal correctionnel, un huissier va et vient et des avocats font du bruit. Les convoqués sont du domaine du silence et de l’immobilité. Le niveau d’aisance dit quelque chose sur la place qui revient à chacun.
La pièce en elle-même est belle et laide et impressionnante.

Un journaliste du Paris-Normandie est présent pour la durée des affaires un peu « médiatiques ». Il a le droit d’avoir un ordinateur quand les autres doivent couper leur téléphone. Il parle avec un homme qui reviendra le lendemain ; un habitué, un accro, peut-être. Il paraît qu’il y en a dans tous les tribunaux. Ils sont un peu comme des collègues de boulot.
Et il y a nous. Nous appartenons à la Legal Team Rouen et nous venons vérifier ou invalider nos hypothèses sur la défense juridique. Nous resterons deux jours.

L’audience va commencer. Des femmes entrent en poussant des landeaux qui font bondir l’huissier : « Pas de bébés dans la salle. Pas-de-bébés-dans-la-salle ! ». Non mais. Quand nous sortirons à la fin de la journée, les enfants seront toujours dans la salle des pas perdus, avec une des mamans qui se sont relayées. Ils auront eu froid.
Sonnerie. La Cour. C’est parti.
Les affaires se suivent : violence conjugale, incendie volontaire, travail clandestin, violences, mais surtout des vols.

La première grosse différence entre les traitements des affaires, ce qu’il est impossible d’oublier après l’audience, c’est qu’il y a clairement des inculpés qui attirent la sympathie de la Cour et d’autres pas. Un profil qui passe mieux. Ou plutôt, tout un tas de profils répartis sur un éventail de l’acceptable, allant de celui que tout le monde écoute en silence à celui qui se prend des remarques, fait lever les yeux au ciel, essuie des sarcasmes et parfois des rires dans la salle.

Précisons que la quasi-totalité des audiences de ces deux jours sont précédées d’aveux au cours de la garde-à-vue. La panoplie de l’innocence n’était donc pas franchement de mise pour plaire à la Cour. L’inculpé idéal, celui qui suscite, si ce n’est un peu de sympathie (voire de pitié), de respect (voire de confiance), ne conteste pas. Il reconnaît, « assume », s’explique mais ne s’excuse pas. Il s’en remet au tribunal. Il attend sa décision souveraine. C’est bien une sorte de soumission qui est attendue. Et gare à ne pas avoir l’air trop soumis. Trop pleurer ou au mauvais moment, être trop stressé et répondre à côté de la plaque, voilà également ce qui fait sourire ou soupirer les hommes de loi. Pas le droit de jouer la partition de la victime.

Gare également à celui dont la soumission vacille. Ainsi de cet homme jugé pour vol en comparution immédiate qui s’étrangle quand il entend la procureure requérir plusieurs mois de prison ferme (« Pour une tablette ? Une tablette ! Mais oui, mettez cinq ans, dix tant que vous y êtes ! »). La franchise dont il avait fait preuve dans ses réponses, son état de santé qui aurait pu valoir comme une circonstance atténuante, sa capacité même de dialogue, tout cela est balayé, et parce qu’il coupe la parole de l’Etat, on le fait sortir de force par la police. Il ne parlera pas pour sa défense. Son avocate plaidera deux causes – pourquoi les vols et pourquoi cet emportement – mais la deuxième est une cause perdue.
Verdict : 10 mois dont 6 avec sursis et 2 ans de mise à l’épreuve. Pour une seule tablette volée, en effet. La deuxième n’est même pas sortie du magasin.

Un autre, inculpé pour incendie volontaire, une vingtaine d’années, survêtement et cheveux longs, comparution à l’issue de 48 heures de garde à vue, casier vierge à l’exception d’une « conduite sous l’empire d’un état alcoolique », pas de partie civile. Il est épuisé et on voit la peur sur son visage. Il était ivre au moment des faits, il a des « trous noirs » donc pas grand chose à dire. Et surtout, il ne fait pas dans la contrition. Il raconte l’embrouille de longue date avec celui dont il a voulu brûlé la voiture, comment le mec l’a fait tabasser par ses potes en boîte de nuit et comment il s’est vengé. Le juge trouve que c’est un peu fort de café, il se fâche :

« C’est dangereux de mettre le feu à une voiture, Monsieur. »
« Non mais vous savez combien ça coûte une voiture comme celle-là, Monsieur ? […] C’est beaucoup d’argent. »
« Quand on est en contrôle judiciaire, la dernière chose à faire c’est de se faire remarquer.  »
Pour peaufiner son rôle de papa, il va jusqu’à citer Bourvil : « Elle va beaucoup moins bien marcher maintenant  ».
Lol.
Pour un détail qui l’a amusé : « Le dossier m’est tombé des mains quand j’ai lu votre profession.
- …
- Allez-y dîtes ce que vous faîtes dans la vie.
- Je suis agent de sécurité.
- Oui, mais vous n’êtes pas, justement, agent de sécurité incendie ?!  »
Mais oui, allez dîtes-le un peu qu’on rigole un bon coup avant de vous condamner, ce sera toujours ça de pris...

Quand quelques minutes plus tard, l’avocate explique ce qui ne va pas dans la vie personnelle du jeune homme, ça éclaire ce qui ne va pas dans son procès : pas assez de remords, pas assez de déballage et pas assez de recul. Trop tard pour qu’on le considère avec respect, ou qu’on le considère tout court. Sa réserve, sa pudeur peut-être, a fini par passer pour de l’indifférence ou de l’inconscience. Verdict : 15 mois dont 7 avec sursis sans mandat de dépôt et 2 ans de mise à l’épreuve.

Contre-exemple, la toute première affaire. Contrairement à l’usage, il ne s’agit pas d’une comparution immédiate car le transfert des personnes détenues avait pris plus de temps que prévu. L’homme appelé s’avance donc seul vers la barre. À la lecture des faits, des violences conjugales, les mots « piétiner », « projeter contre les murs » sont prononcés. Nous nous sentons mal. L’homme répond aux premières questions en s’efforçant du mieux qu’il peut de ne pas pleurer. Nous nous sentons mal. Le juge appelle la victime à témoigner.

Nous avons d’abord pensé que ce premier jugement serait un massacre. Au contraire, nous assistons à une défense extrêmement bien préparée. Evidemment, cela est permis par les circonstances particulières de ce couple, leur degré d’entente, leurs priorités. Mais ce qui marche vraiment, c’est la solidité de la défense. Eux et l’avocate de l’homme marchent dans la même direction : éviter une trop grosse peine qui l’éloignerait de sa fille. Aux yeux de la justice, il prouve que sa « réinsertion » a déjà commencé, qu’il travaille, qu’il est suivi pour ses problèmes d’alcool, qu’il a vu un psychologue, qu’il a respecté son contrôle judiciaire, qu’il est séparé de sa femme, qu’il s’est arrangé avec son ex-belle-famille pour voir régulièrement sa fille. La femme confirme. Tout ce qu’il dit, elle le confirme.

Lorsque quelqu’un doit décrire les violences, c’est elle. Lui ne se souvient pas exactement, mais il ne dément pas. Elle confirme également ce qu’elle a dit aux policiers lors de l’arrestation : elle a eu peur, elle a eu mal, mais n’a pas subi de coups directs. Quand le juge insiste sur le piétinement, elle redécrit la scène, elle hésite sur le mot. L’homme pleure.
L’avocate n’a plus qu’à souligner ce que tout le monde a déjà compris : dans cette affaire, il n’y a presque pas besoin de la justice.
Le verdict (6 mois de sursis assortis de 18 mois de mise à l’épreuve) aurait été difficile à obtenir au lendemain de sa garde-à-vue. Au lendemain du jour où sa vie bascule.

La comparution immédiate, c’est le rendez-vous des conditions qui vont vous enfoncer. Stress, honte, fatigue, violence, peur, négligence, émotivité... Vous arrivez après 48 heures de geôle puante et d’interrogatoires (et parfois une première nuit en prison), devant des gens qui ont, en plus de la certitude de leur propre innocence – qui peut se confondre à ce moment-là pour eux avec la conviction de leur supériorité – la tranquillité de celui qui a dormi dans son lit. La Cour apparaît sous un jour dont elle ne rougit pas ; pas les inculpés.

Dans les deux affaires décrites plus haut, l’émotion des inculpés surgit au mauvais moment, ou de la mauvaise manière. Elle n’est pas à même de s’ériger en démonstration, de constituer le spectacle qui fait pencher la balance de la justice. L’avocat, si brillant soit-il, ne peut que rattraper les mots sortis trop vite, colmater les brèches du récit, sans jamais faire vraiment bloc avec son client. Comparaître libre et après quelques heures de préparation ne leur aurait peut-être pas garanti la relaxe, mais leur aurait donné un coup d’avance. L’occasion d’être un peu moins à la merci du tribunal, moins « à poil ».

D’où premier conseil de la LTR : refuser la comparution immédiate et demander un délai pour préparer sa défense. L’audience peut alors être simplement renvoyée et vous rentrez à la maison, ou le procureur peut demander une incarcération en attente du procès. Nous verrons plus tard comment elle est parfois évitable.

A suivre, donc.

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