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J’ai exercé la fonction d’AVS du 1er avril 2014 au 31 août 2018. Je suis AESH depuis le 1er septembre 2018. En ce qui concerne l’année scolaire en cours, j’ai reçu un mail en date du 28 août 2019 m’informant de mon affectation au PIAL [2] – circonscription Rouen nord pour une quotité de 26h/semaine.
J’étais plutôt contente de recevoir une affectation, même si j’ai vite compris que je ne pourrais plus compléter mon salaire avec un contrat d’assistante pédagogique comme je le faisais depuis septembre 2015.
C’est la rentrée, je suis à mon poste... Les jours passent, je fais connaissance avec les enfants, les enseignantes avec lesquelles je travaille, le directeur, les autres AESH... Je m’inquiète de ma situation... Je ne suis pas seule dans cette situation tout à fait anormale. Cependant je vois mes collègues aller signer leur contrat, petit à petit, au collège G. Braque. Quant à moi, allez savoir pour quelle raison, je dépendrais du collège Boieldieu.
Je téléphone donc à ce collège. On ne me connaît pas. Cependant la secrétaire, compatissante, promet d’informer la direction de mon appel, de chercher des renseignements concernant ma situation et de me rappeler dès qu’elle saura de quoi il retourne.
Nous sommes déjà mercredi 9 octobre 2019.
Je n’ai toujours pas de contrat de travail, ni de PV d’installation, ni de salaire – donc aucun justificatif à présenter à la CAF, à pôle emploi ou encore à la banque – ni acompte, ni « avance ».
Honte à vous qui osez parler d’avance alors qu’il s’agit d’un indécent retard sur salaire ! Les mots ont un sens, l’aurait-on oublié à l’Éducation Nationale ?
Il y a un rassemblement devant le rectorat. J’y suis. Mais une de mes amies, AESH, n’a pas pu venir : sa carte bancaire vient d’être bloquée, elle ne peut pas acheter de tickets de bus.
Parce que nous insistons, en présence d’une caméra de France 2, les AESH peuvent finalement accompagner les représentants syndicaux et être reçu.e.s au rectorat. Mais pas par vous, madame la Rectrice.
Il y a des témoignages. Tous racontent la maltraitance, l’injustice, l’illégalité dans laquelle se trouve l’Éducation Nationale, les frigos vides, les comptes bancaires à sec, le dévouement vis-à-vis des enfants que l’on accompagne...
J’apprends avec stupéfaction les choses suivantes :
- pour celles et ceux qui ont signé un contrat, une « AVANCE » leur a été ou leur sera versée
- que ces personnes ne percevront que 90% de leur salaire en octobre
- qu’elles percevront en novembre le salaire de septembre, les 10% manquant d’octobre et le salaire de novembre
- qu’elles devront REMBOURSER « l’avance » perçue
- qu’il n’y aura pas de bulletin de salaire pour le mois de septembre.
Que va-t-il advenir des personnes qui, comme moi, n’ont pas même signé de contrat ?
Sous un flot de vaines paroles, le silence est abyssal !
J’apprends encore que les années passées à exercer la fonction d’AVS (soit la même fonction mais avec un contrat aidé géré par Pôle Emploi) ces années donc, ne comptent pas dans les six années d’expérience requises pour prétendre à un CDI !
J’étais arrivée fâchée je repars abattue.
Jeudi 10 octobre, j’informe mon directeur et les enseignantes concernées que je vais m’installer sur mon lieu d’affectation, à savoir dans les locaux de la circonscription Rouen nord. L’inspecteur ne sera pas là de la journée. Dommage.
Que faire ?
Je décide de me rendre à la DAPAEC [3]. Je suis effarée d’apprendre que 50% des agents du service sont en arrêt maladie. Y aurait-il un problème ? Non ! Pas de problème ! Notre chère institution peut se permettre d’embaucher des vacataires à tour de bras, personnels précaires parmi les précaires qui seront ensuite jetés comme de vieux kleenex.
Bref, la personne qui me reçoit m’indique que je devrais dépendre du collège Boieldieu et logiquement, m’envoie au lycée Flaubert...
Mais oui ma fille, tout ceci est parfaitement cohérent ! Attends que je t’explique : tu seras la seule de ton école à dépendre du collège Boieldieu, raison pour laquelle tu dois aller solliciter le lycée Flaubert qui lui, ne s’occupe absolument pas des contrats mais de la paye. C’est clair, non ?
Heu... soit je ne comprends pas du fait probable d’un manque d’intelligence, soit le désastre est encore plus énorme que tout ce que j’avais imaginé.
Sans conteste, il l’est !
A Flaubert, je suis presque rassurée quant à mon intelligence : le lycée ne peut rien me dire en ce qui concerne l’établissement qui éditera mon contrat puisque le lycée s’occupe des salaires... enfin, quand il y a un contrat.
L’urgence, l’urgence administrative car pour ce qui est de celle de mon frigo..., c’est de comprendre qui va établir mon contrat. Du lycée Flaubert, on m’envoie à la DSDEN [4]. Je repasse à l’école et à la circonscription pour informer que je me rends à la DSDEN. Mais une fois dans la rue... je craque et les larmes coulent. Je rentre chez moi.
De la maison, j’appelle la « cellule d’écoute ». On me répond, c’est un petit miracle. J’explique ma situation.
« Ah oui, il y a un problème avec votre affectation.
Un problème ? Et... ?
Nous essayons de comprendre.
Vous essayez ??? »
Oh là là vilaine fille qu’as-tu dit là !
Enfin je contacte l’assistante sociale. Bénie soit-elle pour son efficacité, ses conseils avisés, son écoute. Une aide d’urgence est débloquée dès le vendredi.
Nous sommes vendredi 11 octobre. Il est 6h45.
Le réveil sonne. Je n’ai pas envie de me lever. Pour quoi faire ? Pour être baladée de service en service ?
A 8h20 je suis à l’école. Je vois mon directeur, les enseignantes que j’ai l’impression de trahir, d’autres collègues... Tous expriment leur incompréhension face à une telle situation et m’assurent de leur soutien.
Circonscription. L’inspecteur alerté par la secrétaire attend ma visite. Avant de partir en inspection, il a la gentillesse de me recevoir. Je sais qu’il n’a pas la main sur ce dossier mais cette rencontre est importante. Je sens toute son empathie et tout son désarroi. Il m’assure qu’il va passer des coups de fil et m’indique que je peux rentrer chez moi si je le souhaite.
Ce que je fais.
Sauf que je tourne en rond.
Chez moi, ce sont les vieilles éponges qui mériteraient d’être remplacées par des neuves, le bidon de lessive qui s’épuise, l’envie de croquer dans un carré de chocolat que je n’ai pas...
Chez moi c’est l’envie de pleurer, les nœuds à l’estomac, un sentiment de culpabilité de n’être pas auprès des enfants que j’accompagne à l’école...
Chez moi c’est un sentiment d’incapacité : vous êtes grands mes enfants, étudiants pourtant, non boursiers, vous avez encore besoin que j’assure votre sécurité matérielle. Je n’en suis plus capable. Et toi qui vis à la maison depuis un an et demi après avoir fui ton pays, toi pour qui je n’ai jamais reçu le moindre euro d’aide alors que tu es soi-disant sous « protection » de l’ASE [5], faut-il que je te mette à la rue ?
J’ai envie de me coucher et d’attendre la fin du cauchemar.
NON ! J’ai la chance d’avoir des enfants et des parents merveilleux, des amis formidables, des collègues qui m’entourent et me soutiennent.
Je me rends au collège Braque. L’accueil que me réservent la secrétaire et l’équipe de direction me touche vraiment. Il est plus de midi mais dès 13h30, elles s’attèleront à me sortir de cette situation ubuesque.
En attendant, je mange avec mes amies et ex-collègues. Au fur et à mesure que je leur raconte la situation dans laquelle je me trouve, situation qui n’est qu’une parmi des centaines d’autres, je vois sur leur visage la stupeur, l’indignation, la colère... la sidération.
Parce que le scandale est énorme
parce que le scandale est étouffé
parce que l’opacité règne
parce que la maltraitance institutionnelle atteint son paroxysme
Elles savent, mes amies, que j’ai été institutrice (1 an, CDD), formatrice en français langue étrangère dans un GRETA-MEP (3ans, CDD), enseignante remplaçante en français dans des collèges (1 an, vacataire), formatrice en français pour la préparation de divers concours et formatrice en insertion professionnelle dans un autre GRETA (3 ans, vacataire), enseignante en lettres-histoire dans un (des rares) CFA de l’Éducation Nationale (2ans, CDD), assistante pédagogique en REP+ (4 ans, CDD), AVS (4 ans, contrat aidé) et aujourd’hui... AESH... bénévole par obligation !
13H30. Nous sommes quatre dans le secrétariat. La secrétaire, la principale, la principale adjointe et moi-même. Je passe sur tout le temps et toute la patience qu’il faut avant d’obtenir un interlocuteur au pôle inclusif.
… mon nom semble connu du service... une pensée pour l’inspecteur, pour l’assistante sociale, pour le collège Boieldieu.
Madame la Principale exprime très fortement sa colère. Une colère qui enfle alors qu’elle apprend à ce jour :
- que son collège est tête de PIAL
- que c’est au collège d’éditer les contrats (alors que les précédents contrats leur ont été envoyés)
- qu’en plus de mon contrat (tiens, on ne parle plus de Boieldieu ?) il faudra que le collège édite d’autres contrats de personnes que le collège ne connaît pas et dont il ne connaît pas le lieu d’exercice ni par quel moyen les contacter...
vendredi 11 octobre, 15h45, je signe mon contrat, mon compte en banque devra attendre...
Voilà.
Voilà monsieur le Ministre, madame la Rectrice, monsieur l’Inspecteur d’académie toute la considération que l’école de la confiance accorde aux enfants en situation de handicap et à leurs familles.
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