Tout commence au printemps 2017, quand les réseaux identitaires européens annoncent le lancement de leur campagne Defend Europe. Objectif assumé ? Mettre à mal les opérations de sauvetage de migrants menées en méditerranée. Leur théorie ? Les ONG seraient de mèche avec les passeurs et seraient coupables de trafic d’êtres humains.
Cela pourrait prêter à sourire si cet argument de vente ne leur avait pas permis de récolter près de 180.000€ via des plate-formes de crowdfounding. C’est avec cette somme rondelette qu’ils ont loué le C-Star. Un chalutier de 40 mètres de long, propriété d’un sulfureux homme d’affaire suédois du nom de Sven Tomas Egertsraum. L’équipage du C-Star se compose, entre autre, de 7 membres actifs de Génération Identitaire, le fameux groupuscule d’extrême droite implanté dans toute l’Europe.
La fine équipe embarque donc le 7 Juillet au départ de Djibouti. Direction Catane, en Sicile, où l’attendent d’autres militants qui répondent à l’appel du large. A moins que ce ne soit aux sirènes des idéaux les plus nauséabonds qu’il soit. Leur intention est ensuite de se rapprocher des côtes libyennes et d’y intercepter toutes les embarcations de migrants qu’ils croiseront. En sus, ils promettent de remettre leurs occupants aux mains des gardes-côtes libyens. Une sacrée œuvre de charité au regard du sort réservé aux migrants en Libye. C’est donc armé d’un patriotisme des plus crasses et de leur abyssale bêtise que nos apprentis matelots prennent le large. Sans se douter un instant que leur petite croisière allait vite se transformer en un véritable chemin de croix.
Le 19 juillet, le C-Star et son équipage rencontrent leurs premières embûches : les autorités égyptienne stoppent le bateau à Suez. Motif ? Le capitaine du navire n’est pas en mesure de fournir une liste satisfaisante de son équipage. On n’en saura pas plus. Le radeau de la méduse est finalement autorisé à reprendre la mer...avant de se faire arraisonner une deuxième fois.
Le 26 juillet, ce sont les autorités chypriotes qui mettent le hola et bloquent le bateau dans le port de Famagouste. D’après le journal local Kibris Postasi, la raison invoqué est la suivante : détention de faux documents. Sept membres de l’équipage sont mis en examen ainsi que le capitaine du bateau, son second et Egerstraum arrivé par avion pour l’occasion. Quelques informations filtrent. Notamment la présence, sur le C-Star, de vingt Tamouls en situation irrégulière. Certains affirment être membres à part entière de l’équipage et suivre une formation de matelot dans leur pays, le Sri Lanka. D’autres ont une version nettement moins "fun". Ils auraient déboursé une fortune pour embarquer illégalement à bord. Avec, au bout, la promesse de jours meilleurs une fois arrivés clandestinement en Europe. On se permet quand même de douter de la version initiale. D’une part, les Tamouls constituent une minorité opprimée au Sri Lanka et ont toutes les raisons de vouloir fuir l’île. D’autre part, cinq des vingt Tamouls ont décidé de faire une demande d’asile à Chypre. Qu’à cela ne tienne, et malgré l’ouverture d’une instruction, le C-Star est finalement autorisé à quitter Famagouste.
L’administration égyptienne et la justice chypriote ont statué en faveur du C-Star. Nos marins d’eau douce ont alors cru pouvoir continuer leur croisière peinards. Mais c’était sans compter l’opposition rencontrée dans les ports. Partout où le C-Star est passé, une flopée de militants plus ou moins chevronnés s’est dressée contre son équipage. En témoigne la mobilisation à Sfax et Zarzis, en Tunisie. Début juillet, contraint par les actions des pêcheurs, des antifascistes et des syndicats, le bateau a dû rebrousser chemin et faire une croix sur son ravitaillement.
Même topo en Crète, quelques semaines plus tard, où l’équipage a pris peur face à la résistance. Il a préféré couper sa balise AIS pour éviter d’être repéré. En plus des démêlés avec la justice et de l’opposition rencontrée, l’équipage a dû faire face à un jolie medley d’avaries. Eau dans le moteur, WC inutilisables... Le 11 août, les identitaires ont même poussé le ridicule jusqu’à refuser l’aide du navire de l’ONG allemande SeaEye alors qu’une panne de moteur s’était déclarée à bord.
Au final, le C-Star a véritablement commencé ses patrouilles le 12 Août sans autre fait d’armes que des tentatives avortées de communication avec des bateau. Le tout, à grand renfort de mégaphone. La bataille navale a pris fin le 27 août, quand la joyeuse troupe a abandonné le navire au large de Malte et que chacun est rentré chez soi, bredouille.
Si on se paye de bonnes tranches de rires face au ridicule de la situation, il ne faudrait pas oublier que le fond, lui, est nettement moins drôle. Derrière leurs airs de jeunes premiers, leurs t-shirt bleus sérigraphiés et leurs lunettes de soleil, nos petits rigolos sont en réalité de gros bonnets de l’extrême droite européenne. Un tour des présentations s’impose.
Martin Sellner, considéré comme le chef de file de Defend Europe, est le cofondateur de Génération Identitaire Autriche. Il est un fervent défenseur de la « théorie du grand remplacement » et fricoterait avec des groupuscules néo-nazis. Il est également en lien avec le mouvement Pegida. Clément Galant est quant à lui le plus francophone de nos moussaillons. Le Lyonnais, affilié à Génération Identitaire, n’était pas un habitué des projecteurs jusqu’à ce qu’il s’improvise porte-parole français de la mission Defend Europe. Parmi l’équipage du C-Star, on trouve aussi Lorenzo Fiato, fondateur de la branche italienne de Génération Identitaire et Robert Timm, responsable de la section berlinoise de Génération Identitaire Allemagne.
A l’instar de la plupart des membres de Génération Identitaire, tous ont moins de 30 ans. L’extrême droite a donc joué fin en surfant sur la vague du « lifestyle ». Mais la couche de verni n’est pas si épaisse et le vrai visage de ces organisations de la jeunesse donne autant la gerbe que les partis politiques des aînés.
Ce qu’il y a d’inquiétant dans toute cette histoire, c’est qu’aucun gouvernement européen n’a vraiment pris la peine de se pencher sur le « dossier C-Star ». En période électorale, quand il faut haranguer les foules pour faire barrage aux nationalistes, tout le monde répond à l’appel. Mais quand il s’agit d’agir concrètement contre les exactions de groupuscules fascisants, là il il n’y a plus personne. Les mecs ont quand même passé deux mois à se la couler douce sur un rafiot loin d’être en règle, à couper leur signalétique quand cela leur chantait, à jouer les passeurs... bref, à transgresser un bon paquet de lois avec, en toile de fond, la ferme intention de mettre des vies humaines en danger. Mais peu importe, chacun est rentré tranquillement dans ses pénates, sans être inquiété de quoi que ce soit.
Dans le même temps, il serait bon de rappeler qu’en face, on ne s’en sort pas aussi bien. Yannis Youlountas et Jean-Jacques Rue, tous deux membres du réseau Defend Mediterranea, sont attaqués en justice par le trio de compète Sellner, Galant et Fiato pour une histoire de messages postés sur les réseaux sociaux. Les chefs de fil de l’opération Defend Europe leur demandent 30 000 euros de dommages et intérêts pour injure publique. Yannis Youlountas les avait sympathiquement affublés du surnom de « nazillon » tandis que Jean-Jacques Rue s’était contenté de commenter et partager la publication. Un comité de soutien a d’ailleurs été organisé, et une cagnotte créée sur le site Le pot commun. Le procès se tiendra à Nice, le 18 décembre prochain.
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