Con comme un bit.

Dans ses locaux parisiens, la Fondation EDF propose régulièrement des expositions. Comme ils ne payent pas la facture d’élec, ils se lâchent à fond les ballons : plein de lumières, du gros son, des écrans qui scintillent, des trucs fluos. C’est les « nouvelles technologies », mec, et dans les mois qui viennent, c’est la « vie numérique » qui est à l’honneur. Et même la « belle vie numérique ». J’te dis pas comment la plaquette fout les jetons. J’y vais quand même.

Okay. Déjà. Ils ont refait les moquettes. On marche sur des pixels. A défaut de marcher sur des oeufs. Dès le début, ça tabasse les neurones. Le couloir est splitté. On me demande de choisir entre un parcours 0 et un parcours 1. J’y comprends rien. Le parcours 0 il est rouge et je l’emprunte parce que je me dis « C’est le parcours vénère ». Le parcours 1, il est bleu et il part direct sur la droite. Mais y’avait entourloupe, en fait, c’est la même expo. Auto-reverse.

D’office, on me cueille avec de grands tableaux dans le genre « Fin du monde – trop le bordel – explosions nucléaires – manifs – morts de faim ». Truc de gros schizo. EDF, c’est l’atome, c’est l’uranium qu’il faut bien aller extraire en Afrique, c’est les déchets que personne sait vraiment gérer, cependant, de temps en temps, les types, ils lâchent des biftons à un artiste chinois pour leur peindre l’Apocalypse. Car tel est leur bon plaisir.

Je déambule, mi-shooté, entre les lumières trop vives et les recoins obscurs de ce petit musée des horreurs. Salle suivante : c’est le ventre mou. Défilent des LOLcats, des Google Street Views, des posts instagrams, présentés avec le décorum des oeuvres d’art. C’est le bide. Je sens qu’on essaie de nous fourguer ça comme de la culture, mais je suis pas le seul à rechigner. Globalement, les gens tracent, les cerveaux n’adhèrent pas, les bouches font « mouais ». Agonie de l’expo conceptuelle ? Je sais même pas, j’ai l’impression de rien.

Ascenseur. Djjjjjjjtiktiktik. Arrivée sous-sol de la mort : un cabinet de curiosité de vieux ordis (idolâtrie), un docu-prise-de-conscience avec une voix molle (fun fact : comme c’est la salle « critique », on est assis sur des troncs d’arbre, comme des castors, au milieu de copeaux de bois...). La vidéo parle data centers avec un flow à la Debord. Totalement pas sexy. Je sens bien que c’était pour dire.

Non mais attends, après. Pièce maîtresse, roulement de tambour. Derrière un vigile anesthésié par la pénombre, se dresse le chef d’oeuvre qui fait frétiller pas mal de monde : un faux Rembrandt « peint par une intelligence artificielle ». Genre. Imprimé avec une imprimante 3D. Perso, j’y connais rien à Rembrandt ; tout ce que je vois, c’est un mec couleur feuille morte qui me regarde. Vidéo dans la pièce : à la gloire des logiciels de reconnaissance faciale.
Pirouette, cacahuète.
La salle d’après, c’est un robot qui me montre ses empreintes digitales, le son est pourri, ça bourdonne, je me défile. Une vieille dame reste bloquée dans la salle, elle ne sait pas trop où donner de tête (il y a des écrans partout).

Re-ascenseur. Tiktiktikdjjjjjjjj. Au dessus, le top floor, c’est là que les ingénieurs-artistes de chez EDF ont fumé des gros bédos. Le serious business, apparemment, c’est quand c’est quantique. Avant, c’était pas quantique, c’tait nul, mais demain, t’sais, ça pourrait être quantique. Si t’as rien compris, un panneau d’explication mêle physique des particules et chamanisme. Et derrière, bim, EDF t’offre un étage complet farci de délires maniaques. Des lierres (des putains de lierres) qui glougloutent quand tu les tripotes (son : entre Alien et un reportage sur les baleines), des vases moulés sur les « ondes émises durant le sommeil paradoxal » et pis, « le son des rêves », rien de moins, à écouter au casque. La Fondation EDF, c’est le LSD + l’électricité.

Une bonne partie de la surface est consacrée au pinacle. On le voit de loin. Le symbole. J’approche. Le surkif numérique : une machine qui analyse l’« aura électromagnétique » des visiteurs et qui balance « la donnée » vers un piano électrique qui joue « une musique personnalisée ». Raël vs. Erik Satie, dans le loft de Steve Jobs. Chelou. Chelou parce que, paradoxalement, tout le monde sait que c’est nimp, mais tout le monde a envie d’essayer. Un peu comme l’horoscope. En plus, cerise sur le bédo, la machine prend un pola (arty) de ta tronche au moment où tu mets ta main sur un scanner digital.
Tu rembarques chez toi une carte postale, c’est super sympa, avec un lien internet vers ta « musique intérieure », c’est vraiment super super sympa.

J’ai bien mal à mon crâne. En plus, ma « musique intérieure » est nulle à chier (le piano joue une marche funèbre). Je rentre à la maison.

Résumé de ce que j’ai pu comprendre : des ingénieurs fabriquent des engins méga compliqués, mais en fait, les gens sont tellement pétés que ce qui marche le mieux, c’est encore le discours new-age. Les auras, sérieux. La musique intérieure, mec. Ca va dorloter le peu qui leur reste : leur égo. (Le cogito, je crois, les machines s’en chargent). Dans le monde hyper-individualisant, infantilisant et glacial des machines, l’égo est une vieille chambre à air qui se vide de partout et qu’il faut regonfler en permanence.

La « belle vie numérique » est une pompe à vélo.

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