Une affaire de vol à l’arrachée. Les deux inculpés ont été arrêtés la nuit, dans une rue non loin de laquelle avait été retrouvés deux sacs à main qui venaient d’être volés et leurs propriétaires. Les deux mecs couraient. Parce qu’ils avaient quelque chose à se reprocher, dit la police. Parce qu’ils sont en situation irrégulière et qu’ils ont vu les flics, disent-ils.
Le PV de police dit que les deux victimes reconnaissent les deux hommes, chose qu’elles démentent formellement lors des auditions. Les droits des gardés à vue leurs sont notifiés en français, car il a fallu plusieurs heures aux policiers pour s’apercevoir qu’ils ne comprenaient pas cette langue. Jusque là, la routine, à Brisout.
Dans un premier temps, les deux gars nient absolument avoir quelque chose à voir avec les vols.
En cours de garde à vue, l’un d’eux dit avoir vu d’autres personnes voler puis abandonner le sac et qu’il a regardé dedans ensuite car il cherchait des cigarettes. Entre temps, on le sait, les enquêteurs recommandent la coopération, font peur, font croire qu’il y a des preuves, etc.
Résultat, en fin de garde à vue, lorsqu’il est présenté au juge, il admet avoir fait partie du groupe de voleurs. Il dément la circonstance aggravante de « violence », il essaye d’alléger la charge. Le juge lui rétorquera qu’arracher un objet des mains de quelqu’un par surprise et par force entre dans la catégorie des violences. C’est justement le procédé qu’il a reconnu, il ne peut que s’incliner.
À l’audience, les deux inculpés sont assistés d’un interprète qui traduit les questions du juge et leurs réponses. Par contre, le réquisitoire du procureur et les plaidoiries des avocates se font en un bloc. On demande à l’interprète, à la fin, de « faire un résumé ». Les avocates soulèvent la nullité de la garde à vue car la procédure de notifications des droits n’a pas été respectée.
Traduisons. En gros, le dossier est presque vide, les seules témoins ne reconnaissent pas les accusés et, leurs biens leur ayant été rendus, elles ne se constituent pas partie civile. Le juge qualifie même le PV des flics de « mensonge ». Tout irait pour le mieux s’il n’y avait cet aveu.
Verdict : celui qui reconnu les faits part pour 6 mois à Bonne-Nouvelle, le second est relaxé. À l’annonce de sa relaxe, ce dernier ferme les yeux et garde son soulagement pour lui car son voisin dans le box fond en larmes et parle à toute vitesse. Le traducteur hésite et se lance quand même. Il parle de sa famille qui va le rejeter s’il est incarcéré. Il supplie. Le juge écoute un peu, se dit peut-être « Ah oui, merde, on a pas demandé grand chose sur leurs vies », ou peut-être pas, et finalement, il dit que c’est fini, que c’est comme ça, que le verdict est rendu.
Ce qui se passe est simple. Pour l’enquêteur, pendant la garde à vue, l’horizon de l’enquête est bouché : ni les témoins, ni les interrogatoires n’apportent rien. Les deux accusés ne parlent pas (dans un premier temps parce qu’ils n’ont pas d’interprète, puis, dans le cas du second, parce qu’il reste sur sa ligne). La seule chose qui peut venir alimenter le dossier, c’est un aveu. On fait une proposition qui semble raisonnable, on dit que le juge sera plus clément si on coopère, que de toute façon, la culpabilité est évidente, qu’il n’aimera pas être pris pour un con, ou que le pote a parlé, etc. Et c’est bingo quand le mec commence à dire qu’il a fouillé le sac. On insiste un peu et hop.
Si le gars avait gardé le silence, le dossier déjà peu constistant, aurait pu ne pas survivre à la nullité de la garde à vue. Mais là, les aveux, même s’ils arrivent au bout d’une procédure de cochons, font que le dossier se tient et appellent à la condamnation.
Tout cela vient étayer le conseil-phare absolu number one de la Legal Team qui veut qu’on utilise toujours son droit au silence en garde-à-vue. Dans le meilleur des cas, les accusations se dégonfleront toutes seules. Dans le pire des cas, il y aura quand même un procès, mais vous n’aurez pas à construire votre défense malgré vous-même, malgré vos premières déclarations. Le pire du pire est de croire embobiner les flics en leurs racontant des salades. Vos salades sont plantées dans la même terre que la réalité, elles peuvent donc révéler des choses que les flics ne savent pas encore, ou qu’ils soupçonnent à peine, et elles peuvent vous entraîner plus loin que la vérité.
Et elles peuvent faire incriminer d’autres personnes.
Et elles dévoilent vos points faibles : ce qui vous fait peur, ce qui vous flatte, vos limites.
N’oubliez pas que, les flics, c’est leur métier de chercher à coincer les interrogés. Pensez ce que vous voulez d’eux, de leur morale, de leur intelligence même, si vous voulez, mais ne doutez que, ce métier, ils savent le faire.
Le flic moyen n’aura pas perdu sa journée si vous ressortez de garde-à-vue en ayant lâché quelques noms, quelques relations, quelques aveux pas lourds, vos empreintes ou un brin d’ADN. Vous si.
Ayant gardé le silence en garde-à-vue, vous poserez la première pierre de votre stratégie sur une surface stable et vide, ce qui vaut mieux, en termes d’architecture, que sur des sables mouvants remplis de serpents. Et même encore dans le cas d’un procès, une relaxe, un rappel à la loi, une non-inscription au casier judiciaire, une amende – selon la gravité des faits – pourront être obtenus.
Se taire en garde-à-vue, c’est tenir ouvert le champ des possibles pour une défense intelligente et efficace.
Se taire en garde-à-vue, c’est entretenir la flamme de l’espoir.
Se taire en garde-à-vue, c’est bien, c’est beau, c’est bon pour vous.
A suivre aussi.
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