Pour une fois j’ai dit NON

Cette brochure a été écrite par une amie. Ce qui est décrit dans cette brochure a été vécu par une amie. À Bure. Cela nous est insupportable. Et cela soulève autant de questions que le nombre d’arbres jusque lors abattus dans le bois Lejuc.
Nous avons commencé à réfléchir individuellement et collectivement et à discuter longuement de ce que nous devons faire pour que notre amie puisse revenir ici. Pour que, sans reproduire les mécanismes de cette « justice » que l’on déteste, nos lieux de lutte ne soient plus jamais des espaces d’histoires sordides, pour que l’on ne laisse plus de répit aux oppresseurs.

Au départ, je souhaitais surtout écrire un témoignage, parce que lire d’autres écrits fait partie de ce qui m’a aidé à avancer. Lire que je n’étais pas seule à l’avoir vécu mais surtout ressenti, lire les mots d’autres pour pouvoir trouver les miens.

Témoigner aussi d’une situation qui n’est malheureusement pas unique. Parce que trop d’histoires ressemblent à la mienne mais qu’elles finissent souvent par s’évanouir dans les mémoires et ne restent que des histoires « individuelles ». Alors il était important pour moi de dire, en espérant que cela puisse aider d’autres personnes à ne pas se sentir seules, trouvent la force de réagir (au sens large, ça commence déjà par ne pas rester dans la culpabilisation et essayer d’en parler). J’ai aussi trouvé important d’ajouter quelques références théoriques pour aider à mieux comprendre certains mécanismes et ainsi peut-être donner des pistes aux survivant.e.s pour avancer et à leurs proches pour les soutenir.

Et puis, au fur et à mesure que je décrivais ma relation avec cet homme qui m’a violée, que j’y réfléchissais et en parlais, plein de liens ce sont faits avec mon éducation, la société dans laquelle j’ai grandi, l’intégration de certaines normes en bref avec ce qu’on appelle, je l’ai découvert, la « culture du viol ». Ce ne sont pas « que » des situations individuelles, elles s’inscrivent dans un contexte social sexiste que je tenais donc à repréciser.

En tout cas, j’espère que par ce témoignage et ces réflexions j’ai réussi à transmettre un peu de cette force, cette conviction que ce n’est pas encore perdu, nous sommes nombreus.es, on ne pourra pas nous faire taire, nous ne sommes pas les coupables et nous méritons tou.te.s d’être respecté.e.s et considéré.e.s.
Pour une fois j’ai dit NON
Qu’est-ce qu’un viol ?

Le viol est défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit [y compris avec un objet ou un doigt], commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Depuis une loi de 1980 c’est un crime et non plus un simple délit. S’il n’y a pas de pénétration, l’atteinte commise est une agression sexuelle. Il peut s’agir d’attouchements, de baisers forcés, de “pelotage”.

La contrainte suppose l’existence de pressions physiques ou morales (exemple typique : « mais j’ai fait toute la route pour te voir »).

Ce qui définit un viol, c’est l’absence de consentement clair et explicite de la victime.

Pas besoin de « forcer », pas besoin de coups ni de cris. Avoir un rapport sexuel avec une personne qui n’est pas consentante, c’est un viol.

On peut être violée par quelqu’un même si on est en couple avec cette personne, même si on a une relation intime avec cette personne, même si on avait effectivement envie d’avoir une relation sexuelle avec cette personne une heure plus tôt.

Le consentement peut être retiré à tout moment. Ramener un mec chez soi, coucher avec lui un soir, deux soirs, dix soirs, l’épouser, tout ceci peut constituer des signaux favorables, mais ne vaut pas systématiquement ni automatiquement consentement.

Avoir une relation sexuelle avec une personne qui a trop bu, qui est droguée ou inconsciente, et donc dans l’incapacité de donner son consentement, de s’opposer ou de réaliser ce qui se passe, c’est un viol.

Céder n’est pas consentir. Si la personne insiste jusqu’à ce qu’on se laisse faire, c’est un viol.

Quelques chiffres :

Au cours de leur vie, une femme sur sept (14,5 %) et un homme sur vingt-cinq (3,9 %) déclarent avoir vécu au moins une forme d’agression sexuelle (hors harcèlement et exhibitionnisme). Les femmes sont 6 fois plus souvent victimes de viol ou de tentative de viol que les hommes. Les violences sexuelles que subissent les femmes sont non seulement beaucoup plus fréquentes, mais elles se produisent dans tous les espaces de vie et tout au long de la vie.

Pour quasiment toutes les violences sexuelles subies par les femmes, les auteurs sont des hommes (entre 94 et 98 % des cas). [1]

Dans 90% des cas, les victimes connaissent leur agresseur. Dans 37% des cas l’auteur est le conjoint, dans 17% des cas c’est quelqu’un d’autre qui vit à la maison. Dans 36% des cas c’est une personne connue de la victime, mais qui n’habite pas avec elle. [2]
Pour une fois j’ai dit NON

J’ai décidé d’écrire ce texte parce que, alors que j’étais aux prises avec ma colère, ma honte, l’incompréhension de ce qui m’était arrivé, lire d’autres témoignages fait partie de ce qui m’a aidé à avancer. Lire que je n’étais pas seule à l’avoir vécu mais surtout ressenti, lire les mots d’autres pour pouvoir trouver les miens.

Il m’a fallu du temps pour me poser sur ce texte, et, alors qu’aujourd’hui je vais mieux, je tourne autour du pot pour ne pas pleurer…

J’ai honte de ce qui s’est passé, peur de le raconter, mais au fond, je sais que c’est aux violeurs d’avoir honte, que ma peur vient d’un conditionnement social qui apprend que le viol est “justifiable” voire “excusable”. Alors il est plus important pour moi de dire, pour que d’autres ne se retrouvent pas seules, aient la force de ré-agir.

Début 2016, j’ai rencontré X au cours de réunions militantes. Il semblait dynamique, investi et son assurance me rassurait je crois. A cette époque je souhaitais a nouveau avoir une relation avec un homme. Il semblait s’intéresser à moi et je me suis dit “pourquoi pas ?”.

Nous nous sommes retrouvé.e.s dans un bus de soutien peu de temps après et il s’est assis à côté de moi.

C’est là que tout a commencé. Pendant la nuit j’ai fini par poser ma tête sur son épaule et nous nous sommes touché.e.s, caressé.e.s. J’avais juste envie de câlins et plutôt peur de la suite mais je me disais “allez lance toi si tu ne veux pas finir vieille fille, dépasse tes peurs pour ne plus être seule”.

Il a déplacé ma main là où il voulait qu’elle soit (pas moi). J’ai été surprise. Je n’ai rien dit.

Une fois sur place chacun.e a fait sa vie, pas de discussion, pas d’échange. Ça m’allait je crois.

Je le retrouvais le soir au dortoir. On dormait côte à côte. Enfin, moi je voulais dormir mais les câlins allaient toujours plus loin. J’étais très gênée par le fait d’être dans un sleeping collectif, je crois que je l’ai un peu dit mais je n’osais pas refuser catégoriquement, j’avais peur de passer pour une “meuf coincée” et qu’il se désintéresse de moi.

Un soir lors d’un concert il m’a plusieurs fois embrassée longtemps, en pleine lumière, devant des gens qui regardaient le spectacle par delà nous. Quelqu’un a même dit “illes vont finir par le faire là” J’ai dit que je n’aimais pas me montrer comme ça en public, que c’était intime, que j’étais gênée. Il s’est “gentiment” moqué de moi. Et a recommencé plus tard. Je n’ai pas insisté.

Dans ma tête je me répétais : “tu devrais être contente”, “tu n’es pas normale”, “lâche toi”.

De retour après cette semaine, on s’est revu.e.s. Je ne savais pas trop ce que j’attendais de cette relation, on discutait peu, on se voyait ponctuellement surtout sur des événements (manifs, réunions…) mais je me disais “cool un mec qui s’intéresse à moi” et j’essayais de ne pas trop me prendre la tête, ne pas être reloue.

A chaque fois qu’on se retrouvait chez lui ou chez moi il était tout de suite très excité, se mettait dans un état où j’avais l’impression de ne rien pouvoir faire, que dire quoi que ce soit serait terrible, j’avais la pression.

La première fois qu’on s’est retrouvé.e.s chez moi, c’était pour aller à une conférence. Il est passé me chercher, a voulu monter avant de partir alors que nous étions en retard, m’a serré dans ses bras et très vite s’est excité tout seul. J’ai argué du fait que nous allions être en retard. Il s’est moqué. J’ai cédé. Je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête à ce moment, j’ai encore honte de le raconter, j’aurais du l’envoyer chier, mais au lieu de ça j’ai essayé d’avoir envie de coucher avec lui aussi. Au fil du travail d’analyse que j’ai fait depuis, je me suis rendue compte que j’ai souvent fait ça dans mes relations : essayer de me convaincre que j’avais envie de faire l’amour pour faire plaisir à l’autre, pour être “normale”, qu’on ne se moque pas de moi. [3] J’ai eu mal, mais ça aussi, j’avais l’habitude. On n’a même pas mis de capote. Inconscience totale. J’étais résignée.

Une autre fois, alors que nous dormions chez moi, il m’a harcelée toute la nuit (sur le moment je n’ai pas mis ce mot de harcèlement sur ce qu’il avait fait…). C’est à dire qu’il n’arrêtait pas de me toucher le dos, le ventre, les seins, des endroits sensibles. A chaque fois ça me réveillait, je repoussais sa main tant bien que mal et il recommençait une fois rendormie. Le matin j’ai voulu faire comme si de rien n’était. Sauf qu’il bandait encore et qu’il m’a dit “c’est douloureux quand on reste trop longtemps en érection”. J’ai culpabilisé, je l’ai laissé faire, il m’a pénétrée.

Lors des rapports, il ne me demandait jamais avant de s’adonner à telle ou telle pratique, parfois ça ressemblait à un film porno, méticuleusement comme “par obligation” avant de passer à la suite. Avec le recul, je crois qu’une poupée ça aurait été pareil. J’étais parfois sous le coup de la surprise, je avais peu de plaisir, parfois je me déconnectais complètement car j’avais mal, je ne disais rien, je me forçais, “apprend pauv’ fille ! Peut être que tu finiras par y trouver du plaisir”.

Dans un carnet où je note souvent ce qui me passe par la tête j’ai écrit à cette époque : “X a un côté autoritaire désagréable. Je ne peux pas m’exprimer pendant les rapports, je ne suis qu’un réceptacle. J’ai l’impression d’être morte dans ces moments”. La colère est montée contre moi quand j’ai relu ça. Pourquoi j’ai continué à le voir !?

Cette relation s’est terminée par un viol le jour où j’ai dit non et où il m’a forcée.

Un week-end d’avril, je me suis rendue avec des ami.e.s à un événement contre un projet d’enfouissement de déchets radioactifs que X co-organisait.

Il m’a quasiment ignorée tout le samedi, je me suis dit qu’il était concentré sur l’organisation et j’ai profité du temps passé avec les copaines. A la fin de la soirée, il s’est souvenu que j’étais là et m’a appelée pour qu’on se retrouve. J’avais beaucoup bu. Vraiment beaucoup. Un ami m’a proposé de dormir au chaud avec elleux dans le bâtiment en dur mais, j’avais prévu de dormir avec X, et je me disais que ce serait l’occasion de se retrouver un peu, d’échanger, après cette journée bizarre de mépris. Je regrette toujours de ne pas avoir suivi cet ami qui s’inquiétait de savoir si j’allais bien… Je m’en veux d’avoir été si naïve, d’avoir cru que c’était normal de faire ce qui était prévu malgré l’attitude ignorante et désagréable de X toute la journée, d’avoir voulu être dans la “norme”. Mais pourquoi aurais-je du me méfier ?

J’ai vomi plusieurs fois sur le trajet vers la tente. Je me suis couchée et endormie très vite. Et là, le harcèlement a commencé. Il n’a pas arrêté de me toucher. Je le repoussais, je répétais que je n’étais pas en état, que je voulais dormir. Tout mon corps lui disait “non”. Il recommençait dès que je m’endormais et que ma main se relâchait. Le matin lorsque je me suis réveillée avec la gueule de bois, il était nu sur son sac de couchage, exhibant son érection (je crois qu’il m’a ressorti le coup de la douleur !) Je ne sais plus ce qui s’est passé vraiment après. Je me souviens m’être dit “je ne vais pas avoir le choix”. Je sais qu’il s’est retrouvé sur moi, m’a pénétrée, et que je suis complètement sortie de mon corps.

Je ne me souviens pas de ce qu’il s’est passé ensuite. Je n’étais plus là. J’aurais voulu quitter la tente mais j’étais épuisée par une nuit de cuite et de harcèlement, je ne pouvais pas croire ce qui se passait, comme seule défense mon esprit s’est barré tout seul. Plus tard, j’apprendrai que cet état s’appelle “sidération psychique” et que c’est un phénomène bien connu dans les cas de traumatisme. [4]

J’ai du m’endormir. Le matin son téléphone a sonné, il est parti.

C’est seulement au cours de la journée que je me suis rendue compte qu’il y avait un problème. Je suis restée avec mes ami.e.s, mais je ressentais une sorte de colère au fond de moi, je ne supportais pas de voir X se pavaner avec le mégaphone, je l’évitais tout en essayant de faire comme si de rien n’était… Je suis allée lui dire au revoir malgré tout, il a fallu que je lui dise plusieurs fois que je partais avant qu’il daigne me répondre. Quand j’y repense, c’était une humiliation de plus. Mais à ce moment je n’y croyais toujours pas, pour moi on faisait encore “couple”, ce qui s’était passé ne pouvait pas être une agression.

Il a fallu que je décrive ce qui s’était passé à une amie le soir même pour que je commence à faire des liens.

POUR UNE FOIS JE N’AVAIS PAS VOULU ME FORCER, POUR UNE FOIS J’AVAIS DIT NON, MAIS ÇA N’AVAIT PAS COMPTÉ, ÇA N’AVAIT FINALEMENT PAS D’IMPORTANCE QUE JE DISE OUI OU NON.

Je suis partie en vacances comme prévu quelques jours chez une amie, je lui ai tout raconté. Ce qui s’était passé pendant le weekend mais j’en suis venue aussi à évoquer ces autres situations de malaise décrites plus haut, ce qui a amorcé un début de prise de conscience que son attitude était malsaine depuis le début mais que j’avais balayé tous les signaux d’alerte au fur et à mesure, je m’étais convaincue du contraire.

Elle a utilisé le mot “viol”. Moi je ne pouvais pas. Pendant longtemps je n’ai pas pu, je ne voulais pas être une “victime”, j’avais honte.

A mon retour, X m’a recontactée pour qu’on se voit. Dans son message il disait qu’il voulait s’excuser parce qu’il “n’avait pas été très présent et avait “un peu abusé” le week-end précédent.

J’ai décidé d’accepter. Dans un lieu neutre. Je n’avais pas envie de le revoir mais j’avais besoin de lui dire que c’était terminé entre nous, que les choses soient claires, pour pouvoir avancer.

Il a effectivement demandé pardon, se rendant compte je crois au fur et à mesure de la discussion de la gravité de ce qu’il avait fait.

Il s’est auto flagellé “je me déteste parce que j’ai fait ce que je déteste chez les autres hommes”, mais pas trop “mais bon je ne veux pas me détester plus que ça”.

Il s’est trouvé des excuses “j’avais juste froid”, “je ne vais quand même pas m’empêcher d’avoir une sexualité […] comme je l’ai fait pendant des années alors que je commence à me la réapproprier” (peut-être vaudrait-il quand même mieux s’abstenir quand on ne peut pas s’empêcher de violer des gen.te.s).

Il m’a parlé de sa précédente relation et des peurs de sa partenaire quant à la sexualité (elle apprécierait…).

Je ne sais pas si c’était une tentative sincère de s’excuser ou parce qu’il espérait qu’en “demandant pardon” notre relation pourrait continuer. Peu m’importe.

Il a confirmé que j’avais exprimé mon refus (ce qui a finalement permis de valider mon ressenti, de légitimer ma colère alors que je ne pouvais m’empêcher de culpabiliser) : “tu m’as dit non plusieurs fois et je n’en ai pas tenu compte”, “j’ai hésité à sortir de la tente car je n’avais pas à t’imposer ça”…malgré cette conscience de ce qu’il allait faire, il n’est pas sorti… je crois que c’est pire.

Il a qualifié lui même cela de “viol” alors que je venais de lui dire que je ne pouvais pas prononcer ou entendre ce mot, que c’était trop dur pour moi. Ça a été violent. Même là il n’a pas respecté ma limite.

Toutes ses phrases sont gravées en moi.

Il a voulu me raconter sa vie, donner des “raisons” à son comportement. Je me sentais mal à l’aise, fermée, sur la défensive, froide comme si je ne ressentais aucune émotion. J’ai fini par comprendre pourquoi. J’ai fini par lui dire que ça ne me concernait plus, que je ne voulais pas entendre ça, qu’il pouvait parler de ses états d’âmes à ses ami.e.s mais pas à moi. Il a insisté : “je veux te raconter des choses mais tu t’en fous”. Ça m’a énervée. Il aurait en plus fallu que je sois à son écoute ! Que je le comprenne ! Que je le plaigne ! Que je fasse sa “thérapie” ! Que je sois gentille ! Évidemment, le pauvre petit mâle était victime dans cette situation ! J’ai du répéter plusieurs fois que tout ça n’était plus mon problème.

Là encore j’aurais du partir. J’ai réussi à résister verbalement à ses tentatives mais là encore j’étais comme tétanisée sur cette terrasse de bar. Et puis, ça aurait été trop malpoli de partir et de le laisser en plan.

Pendant tout le temps de cette discussion, il y avait aussi une petite voix dans ma tête qui, face à ces “belles” paroles me disait “allez, regarde il est quand même cool ce mec il s’excuse, il se rend compte de ce qu’il a fait, peut être ça peut le faire, tu pourrais rester avec lui, il ne recommencera pas” ! J’ai lutté contre cette petite voix, contre l’air abattu qu’il prenait et contre ma culpabilité de le mettre dans cet état. J’ai répété que pour moi ça marquait la fin de notre relation, que ce n’était plus possible.

J’ai trouvé ma force dans toutes les réflexions féministes que j’avais pu avoir auparavant grâce à mes copines et dans les échanges autour des questions de domination et de culture du viol. Je crois que sinon, j’y serais retournée en me disant que c’était ma faute et que lui était un mec bien.

On m’a fait la proposition de déposer plainte plusieurs fois par la suite. Pour moi ce qu’il avait fait n’était pas “assez grave”. J’étais responsable. Et je n’avais absolument aucune envie de raconter ça à des inconnu.e.s ni aucune confiance en la police pour être bienveillante. D’ailleurs, les 2 médecins (hommes) à qui j’en ai parlé m’ont demandé pourquoi je n’étais pas partie de la tente et l’un d’eux, tout en m’incitant fortement à porter plainte, a fini par me dire qu’effectivement avec l’alcool en jeu ce serait parole contre parole… [5]

Après ça j’ai essayé de continuer ma vie normalement, de faire comme si de rien n’était même s’il m’arrivait d’en parler à des amies. J’ai multiplié les activités pour ne plus avoir le temps de penser, j’ai eu des comportements à risque, je recherchais la confrontation physique, j’avais envie de me battre, d’avoir mal, d’exploser, j’ai augmenté ma consommation d’alcool pour me calmer et j’ai décidé d’arrêter de travailler. C’était en projet depuis quelques temps, mais là c’était devenu insupportable, j’avais besoin de temps, de m’occuper de moi.

J’ai recroisé X 2 ou 3 fois, à chaque fois je me forçais à rester en me répétant “c’est pas à toi de partir, c’est pas à toi d’avoir honte” mais ça me faisait mal au ventre, j’avais peur de lui, qu’il me parle, me touche et en même temps la colère grandissait.

Une fois, il m’a fait la bise comme si de rien n’était alors que la fois précédente j’avais montré que je ne voulais pas. J’ai été surprise, j’ai eu envie de vomir. Et de le frapper.

Plus tard, l’occupation dune forêt menacée par un projet nucléaire a commencé. J’en étais. Avec des ami.e.s. J’avais envie d’y être. Lui était très présent et prenait beaucoup de place, notamment dans les réunions, dans l’organisation etc

J’étais complètement dissociée. Je faisais comme si de rien n’était, je l’évitais, j’étouffais ma colère. Mais elle ressortait avec un peu d’alcool dès que les débats tournaient autour du sexisme, je m’enflammais et je finissais en larmes face aux discours tenus. Mes émotions me débordaient complètement et je n’arrivais plus à garder mon calme dans les échanges.

J’ai fini par mettre des proches au courant, leur expliquer les allusions que je faisais régulièrement comme un appel, comme un besoin de dire incontrôlé. Illes m’ont soutenue. Illes ne m’ont pas jugée. Illes n’ont pas demandé plus de détails. Illes n’ont pas remis en cause ma parole. Illes ne m’ont pas dit ce qu’il fallait faire mais que quelques soient mes choix et décisions illes seraient présent.e.s. Ces retours que j’ai pu avoir à ce moment, de la part de militant.e.s proches mais que je connaissais depuis peu de temps, ont facilité la suite de mon cheminement. C’était une première étape importante pour moi.

Mais je n’avais pas la force de rendre tout ça public. Je ne me sentais pas légitime à demander quoi que ce soit, à être responsable d’une action collective. X prenait beaucoup de place et de responsabilités dans cette lutte et je me serais sentie coupable de ne pas pouvoir compenser sa présence s’il en était exclu. J’avais peur de me retrouver toute seule. Beaucoup de personnes semblaient lui donner de l’importance.

Le jour où nous avons été expulsé.e.s de la forêt, après une matinée tendue, il est venu à côté de moi pour regarder des photos. J’ai réussi à lui dire de dégager, c’était la première fois. Je n’ai pas l’habitude d’être en colère, je ne sais pas faire ça, mais là c’était trop, c’est sorti tout seul. J’ai du le répéter, il s’est éloigné. Quelqu’un est venu me demander ce qu’il se passait avec lui car il n’avait pas l’air d’aller bien et était triste. J’ai répondu qu’il savait très bien pourquoi j’avais réagi ainsi. J’étais sous le choc. Je tremblais de rage et de peur.

Pendant l’été qui a suivi et pendant mes vacances, j’ai découvert que j’étais capable de ressentir une colère immense, qu’elle grondait au fond, que j’étais capable d’avoir des envies de meurtre, moi la petite fille sage, bien élevée et altruiste. Des flashs me revenaient, insupportables, obsédants. J’avais du mépris pour les hommes, tous sauf quelques proches, je ne supportais plus de constater qu’ils étaient partout, que les remarques et attitudes sexistes étaient partout. Je le savais déjà mais là, ça m’oppressait encore plus, j’avais envie de les tuer, de les faire tous payer, les détruire. Je ne me connaissais pas cette violence, pas envers les autres. J’aurais voulu me battre. J’ai failli. Je savais que j’avais raison d’être en colère, mais c’était un sentiment inhabituel pour moi. Je me disais que j’exagérais et en même temps la colère et la tension étaient physiques, incontrôlables, dures à supporter. Il fallait que ça sorte.

X m’a renvoyé un mail pour prendre de mes nouvelles, l’air de rien : “JE serais heureux qu’on arrive à se voir un jour”. J’ai explosé à l’intérieur en le lisant, j’aurais voulu me taper la tête contre un mur, hurler, et dans le même temps le tuer, lui faire mal. En fait, je suis tombée malade et suis restée alitée 4 jours sans pouvoir manger. Alors que mon esprit tenait coûte que coûte les derniers mois, mon corps a lâché. Moi qui pensait en avoir fini avec cette histoire, aller mieux, un simple mail a tout fait disjoncter.

J’ai fini par lui répondre  : “La moindre des choses serait de me foutre la paix. Je ne veux plus que tu m’approches”. J’étais fière de moi. Ça marquait une étape importante pour ma reconstruction.

Ce que je n’ai pas encore dit, c’est qu’en parallèle de tout ça, j’avais la chance d’être en contact avec un psy de confiance. Les séances hebdomadaires m’ont aidée à avancer en plus du reste. Il y a des choses que je pouvais dire dans cet espace alors que c’était plus délicat avec mes ami.e.s. En parler dans un lieu neutre, mettre des mots, être moins dans la fuite… Ce n’est pas un outil qui convient à tou.te.s, il faut rencontrer la bonne personne et ça demande de l’énergie et du temps, mais personnellement ça m’a soutenue. J’ai déconstruit pas mal de choses et reconstruit de meilleures bases qui me permettent aujourd’hui d’avoir des relations plus harmonieuses et de me respecter. J’ose croire que ce ne sera plus jamais pareil.

A la rentrée, j’ai aussi démarré un sport de combat pour pouvoir me défouler et canaliser mon énergie.

Pour l’instant je ne suis pas retournée à ce lieu de lutte. Je me protège. J’ai peur de mes émotions. Je ne veux pas y aller seule. Je préfère m’investir ailleurs.

Il y a peu, je me suis empêchée d’aller à une réunion qui se tenait dans le lieu autogéré où je passe beaucoup de temps, et à laquelle X était présent.

C’est trop insupportable d’imaginer qu’il peut se pointer l’air de rien aussi dans un lieu qui est confortable pour moi, que je fréquente très souvent, qui m’est important. Ce n’est pas à moi de tout abandonner. Aujourd’hui j’ai donc passé le cap d’amener le sujet lors d’une réunion d’organisation.

J’ai peur et honte à la fois par rapport à cette future discussion.

Mes ami.e.s me soutiennent.

Amener cette situation personnelle dans la sphère politique et collective est pour moi indispensable pour dépasser ma souffrance et transformer ma rage en énergie positive, me réparer. C’est aussi une façon de ne plus porter tout ça seule et que la gravité des faits soit reconnue par le collectif.

FIN

suite sur : [http://vmc.camp/pour-une-fois-jai-dit-non]

La brochure sur infokisoque.net : [https://infokiosques.net/spip.php?article1391]

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