Que veulent les émeutiers au Venezuela ?

Quand j’ai entendu il y a quelques mois que les émeutiers vénézuéliens mettaient de la merde dans leur cocktail molotov, ça m’a fait rigoler. La semaine dernière je me suis dit que j’allais essayer de comprendre ce qui se passe là bas. Le problème, c’est que parmi les articles que j’ai trouvé (en anglais et français), presque tous relèguent le conflit de rue à l’arrière-plan.

Depuis avril, des manifestations et des émeutes attaquent le gouvernement de Nicolas Maduro, l’héritier socialiste de Chavez. En gros il y a deux camps dans les journaux. Le camp impérialiste-capitaliste-parlementaire, qui dit que Maduro est anti-démocratique. Et le camp marxiste-gaucho qui soutient le gouvernement Maduro parce qu’il est anti-impérialiste.

1. Contestation et répression. Le niveau de violence autour des manifestations est élevé. Selon les Nations Unies, il y aurait eu 125 morts depuis avril. 46 tués par le gouvernement, 27 par des milices armées pro-gouvernement. Environ 2000 personnes auraient été blessées, 5000 arrêtées arbitrairement, et la torture serait une pratique courante pour les prisonniers. (Un témoignage ici, dont la légitimité est discutée ici.)

2. La politique nationale. Maduro est socialiste, l’opposition politique est une coalition qui réunit diverses droites. Maduro la prend au sérieux dans la mesure où il a fait arrêter certaines figures de l’opposition. Difficile de dire le rapport des partis au conflit dans la rue. Maduro serait sans doute perdant dans des élections classiques, du coup il a organisé l’élection d’une assemblée constituante. Le mouvement d’opposition a boycotté cette élection. La participation était faible et massivement pro-gouvernement. Ce qui est particulièrement visible, c’est qu’il s’agit d’une manœuvre du gouvernement. La particularité de notre époque, c’est que gouverner démocratiquement est la seule manière de gouverner légitimement. La démocratie, c’est la grammaire basique du gouvernement.
Tout gouvernement a besoin de légitimité, c’est pourquoi tout gouvernement s’efforce avec plus ou moins de succès de s’exercer démocratiquement.

3. La guerre internationale. C’est le festival de l’hypocrisie. Un certain nombre de pays d’Amérique du Sud ne reconnaissent pas l’assemblée constituante, et ont suspendu le Venezuela des accords économiques du MERCOSUR. Donald Trump s’indigne des vies perdues, condamne l’autoritarisme, lance une guerre économique. Sans doute encore sous l’effet du viagra qui l’a fait entrer en compétition avec Kim Jong Un sur le terrain de l’apocalypse nucléaire, il a dit la semaine dernière qu’il pensait à une possible intervention militaire au Venezuela. Le Royaume-Uni déplore aussi l’effilochement de l’État de droit, tout en autorisant la vente d’arme depuis des années, jusqu’à de l’équipement anti-émeute en mars dernier.

Maduro répond à tout cela que c’est une cabale impérialiste, que l’opposition c’est des épouvantails des États-Unis, et les émeutiers, des fascistes. Ce qui justifie la répression. Sinon chez les gauchos, c’est le malaise. Corbyn et Mélenchon avaient tous les deux félicité Maduro lors de son élection, et quand on leur demande ce qu’ils pensent de lui en ce moment, ils évitent de répondre.

Certes, l’hypocrisie des démocraties capitalistes est usante. C’est une hypocrisie patente. Bien sûr que les gouvernements étasunien, français, anglais utilisent un double standard lorsqu’ils dénoncent « les atteintes aux droits de l’homme ». Bien sûr que décrire le gouvernement de Maduro comme autoritaire, c’est surtout une stratégie pour dire qu’eux, les gouvernements étasuniens, français, anglais, ne sont pas autoritaires. Oui, le gouvernement de Maduro est détesté et attaqué par des raclures. Mais ça ne le rend pas automatiquement sympathique.

Steve Ellner, un intellectuel de la gauche radicale, défend un « soutien critique » à Maduro. Pour lui, le régime n’est pas autoritaire, ni en passe de le devenir. Son argument, c’est que l’opposition réprimée est violente et réactionnaire. Il cite à l’appui un documentaire réalisé par un média marxiste financé entre autres par le gouvernement vénézuélien, et qui me semble un peu douteux. Qu’il y ait diverses formes d’opposition, pourquoi pas. Mais je ne suis pas sûr qu’il soit possible de cautionner une organisation qui a un pareil appareil répressif. Le Monde rapporte un témoignage de prisonnier, dans le numéro du 15-16 août. « Ils nous ont arrosé d’essence et nous ont dit qu’ils allaient nous brûler vif. » Le prisonnier raconte qu’il s’est fait tabasser à coups de crosse. Un autre évoque des séances de taser. On rapporte des viols au bâton, peut-être un hommage des militaires vénézuéliens à la police française. Pardon, je veux bien de la conflictualité, je veux bien que parfois il faille se battre. Mais je ne vois pas pourquoi il faudrait jamais punir et réprimer. Il y a eu une mutinerie de prisonniers dans un centre de détention préventive dans le sud du Venezuela il y a deux jours. Le bilan : un massacre. 37 prisonniers tués dans une prison qui en comptait 105. À gauche il est possible de soutenir ou tolérer une entité qui a une police, des dispositifs anti-émeute, des prisons, des matons, une entité qui torture, qui mutile, qui lacrymogénise, qui utilise la sexualité comme arme traumatique.

Il faut savoir reconnaître ses alliés, mais il faut aussi savoir s’en méfier. Si en France un socialiste était élu et se mettait à emprisonner à tour de bras, ils seraient où, ceux qui aujourd’hui soutiennent Mélenchon, Corbyn, Tsipras ou Iglesias ?

La grande inconnue, au Venezuela, c’est la rue. Est-ce qu’il y a des fascistes dans la rue, comme le dit Maduro ? Je n’ai pas trouvé d’éléments qui permettent de le penser. Est-ce qu’il y a des anarchistes ? Certains témoignages disent que oui, mais ces mêmes témoignages disent que peu de gens se revendiquent anarchistes dans la rue. Est-ce qu’il y a des soutiens de l’opposition conservatrice ? Je ne sais pas. J’aimerais bien en savoir plus.

Publiez !

Comment publier sur A l’ouest - Site coopératif d’informations locales et d’ailleurs, sur Rouen et alentours?

A l’ouest - Site coopératif d’informations locales et d’ailleurs, sur Rouen et alentours n’est pas qu'un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail alouest@riseup.net