Saper le boulot de l’usine à conformité *

«  Il faut des mots pour faire le tri, et pour les mots faut des oreilles. Y’a des silences de plomb comme des balles dans le thorax .../... Y’a des hauts, y’a des bas : un être humain c’est fragile. »docteur« , c’est comme flic ou bidasse ça a le droit d’être violent .../... Un diagnostic collé sur la tempe, jugement dernier, Tercian, Diazepine, à en perdre la rythmique d’une vie cadrée sur ordonnance .../... Wesh les potos merci d’être là, v’là la force que vous me filez sur le trajet, dehors c’est police partout, partout l’HP, ils ont même plus besoin de murs pour nous enfermer, les diagnostics contaminent le vocabulaire .../... l’épidémie psychiatrique bat son plein .../... Ils ont sanglé les déviances et les ont marqué au fer rouge, alors ce qui nous reste c’est que la rage, les divisions de l’armée blanche veulent shooter tout ce qui bouge, faudra pas s’étonner si ça dérape ... »
Comme on peut (rap de NRBC - extraits) *

Le documentaire de Philippe Masse « Les passeurs de soin » a donc été projeté à Rouen ce 15 novembre, comme annoncé curieusement le 7 sur alouest.info, site ouvert à toutes les contributions tant qu’elles ne reproduisent pas des positions de domination.

Le but de ce film est de montrer une équipe psychiatrique en action au sein de « Centres d’hébergement et d’accueil » rouennais (voir l’annonce détaillée du 7).
Or la réalité de la psychiatrie, c’est la violence de l’ « Hôpital » psychiatrique et de ses succursales, justifiée par des prétentions scientistes (concernant notamment la prétendue réalité tant d’une santé mentale que d’une maladie mentale).

La réalité de la psychiatrie, c’est aussi toute la violence de son rêve d’omnipotence et d’omniscience matériellement réalisé quotidiennement dans toute son horreur, très visiblement sous ses oripeaux les plus usés-grossiers-archaïques (« Si je te fais du mal, c’est pour ton bien  »), plus camouflée sous d’autres habits plus neufs-modernisés-raffinés - y compris psychanalysants (« Si je vais jusqu’à toi, te diagnostique et t’accompagne dans une rectification que tu feras bien d’accepter, c’est pour ton bien-être psychique »).

Pour le moins, le documentaire de Philippe Masse « Les passeurs de soin » désire démontrer que tout n’est pas pourri au pays de la psychiatrie quand elle étend ses bonnes intentions affichées au-delà de ses limites géographiques et sociales habituelles.
(Bientôt - déjà ? à nouveau ? - la psychiatrie au bistrot ? Elle est bien à La Borde, Cour Cheverny !)

Ce film a un curieux intérêt : celui de mettre en évidence que des intervenants psychiatriques - habilités (du seul fait de leur titre psychiatrique) à entrer dans ces « centres » - ne peuvent éventuellement y rencontrer les personnes qui y font halte, encore peu psychiatrisées, pas encore diagnostiquées comme « malades mentaux », qu’en commençant à rompre avec ce qui leur est demandé de pratiquer.

Rompre avec l’infantilisation, l’exclusion, l’individualisation des problèmes existentiels, l’hétéronomie, la hiérarchie, la stigmatisation, l’étiquetage, la parole sur l’autre, la confiscation et la déformation de la parole de l’autre, la norme, la dépossession aggravée des personnes d’un pouvoir sur leur vie ... toutes ces pratiques délétères qui sont le « propre » (très sale) de la psychiatrie ... (et de ce monde !)

Ils ne peuvent donc éventuellement rencontrer ces personnes qu’en choisissant (ainsi est-il allégué dans le film) d’ « aller vers » elles.
Et pour ce faire, il leur faudrait bien aller eux-mêmes vers développer et pratiquer : regard, respect, écoute, responsabilité, authenticité, sollicitude ce qui - toute personne ayant côtoyé la psychiatrie le sait trop bien - est aux antipodes de ce qu’elle prescrit de faire. Il reste donc à savoir comment ce pari, tel qu’il est clamé, serait un tant soit peu en passe d’être tenu ...

Toute relation de qualité nécessite regard - respect - écoute - autonomie - responsabilité - authenticité - sollicitude. C’est là, élémentairement, prendre soin de soi et des relations que, nous entêtant à vivre malgré ce monde mortifère, nous choisissons de construire. Qui désire aller vers la liberté et l’autonomie se forge des moyens de liberté et d’autonomie.

Il faut vraiment se vivre comme « soignant » - de quoi ? de qui ? dans quel but ? pour qui ? - pour alors se poser, hiérarchiquement forcément, en « passeur de soin ».
Mais il se peut bien que ce soit juste le réalisateur qui ait choisi d’affubler son documentaire de ce titre, évocateur d’une suffisance charitable peu susceptible d’aide effective.

« J’ai un diagnostic. Il me suit partout. Il me colle à la peau. Je ne suis plus n’importe qui. Je suis »malade« . Je n’ai plus de questions. J’ai des »phases« . Je n’ai plus de réponses. J’ai des »crises« . Je n’ai plus d’actes. J’ai des »symptômes« . Je n’ai plus de nerfs. J’ai un »traitement« . Je ne suis plus moi-même. Je suis diagnostiquée » dit A. *

Il se peut aussi que, parmi ces prétendus passeurs (mais ayant un réel titre psychiatrique), il y en ait pour faire - ça vaut mieux pour tout le monde ! eux y compris, mais ça ne vaut rien du tout pour leur avenir institutionnel ! - un peu autre chose que de la psychiatrie, un peu autre chose que ce qui leur est demandé (et ce en quoi réside leur exploitation, peut-être en seront-ils offusqués !) : être producteurs de police de la pensée et des comportements.

Au cas où ils développent effectivement cet « autre chose que de la psychiatrie », l’institution - elle les paie dans l’attente qu’ils contribuent au rétablissement et au maintien de la norme de la survie, que ce soit par la séduction (!) ou par un camisolage plus direct - les rappellera à l’ordre et les éjectera en cas de persistance résolue dans cette déviance manifeste. **

« ... Je m’entête affreusement à adorer la liberté libre ... »
Arthur Rimbaud, novembre 1870


* « Sans remède » n°1 mars 2010 puis n°5 avril 2014 puis n°2 décembre 2010
www.sansremede.fr

** Elle sait le faire, y compris avec le concours actif de psychiatres comme cet Alain Gouiffès, qui apparaît si gentil démocrate progressiste dans « Les passeurs de soin ». (Sachons-le, ce psychiatre, ce membre de la Grande Confrérie des Ecornifleurs de l’âme, « artiste-déchiré », starlette du trompe-l’oeil et réel truqueur est annoncé pour une prestation à la librairie L’Armitière le 1er décembre prochain au soir, autour de son écrit « Auto-Psy - Les vies d’un psychiatre ». ça promet ! )

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