Un manifestant en soutien à Théo identifié et condamné à partir d’images d’un journal télévisé.

En février, un mouvement qui vous a été raconté ici dans plusieurs articles mobilisait les rouennais en soutien au jeune Théo, violé par la police à Aulnay sous-bois.
Le 22 février, alors que le cortège a été dispersé, un passant déclare que sa voiture a été atteinte par des cailloux en passant à proximité du boulevard de l’Europe. Les forces de l’ordre se rendent sur place et interpellent un homme sur lequel ils retrouvent des tournevis et des cailloux. L’homme ne donne pas alors son identité. Il est mis en garde à vue.

Alors que les policiers ne parviennent pas à trouver d’éléments tangibles, ils vont comparer la photo prise à son entrée en garde à vue à des images issues du journal télévisé de France 3, du 22 février, où on voit des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre.
L’homme est alors reconnu tenant une bouteille de whisky et jetant des cailloux et est déféré devant le tribunal correctionnel pour participation avec arme à un attroupement.
Il sera condamné à une peine de 4 mois de détention.

En août 2016, le site paris-luttes.info publiait déjà un « Appel à propos des photos et vidéos en manifestations » suite aux nombreuses arrestations du mouvement « Nuit debout ».

« Aujourd’hui, des personnes sont en prison -préventive ou ferme- pour avoir manifesté contre la loi Travail, à Nuit Debout ou dans les quartiers, contre les violences policières. Des centaines d’autres sont mises en examen et en attente de leur procès. Des camarades risquent les Assises et sont emprisonné.e.s depuis plusieurs mois alors qu’illes ont été interpellé.e.s non pas au moment des faits mais à posteriori, à partir d’images vidéos saisies par la police.
Nous appelons donc chacun.e à se responsabiliser en ce qui concerne la prise d’images (photos ou vidéos) en manifestations et à leur diffusion.
Nous avons changé d’époque. Aujourd’hui, le floutage ne suffit plus. La police se fonde sur une silhouette ou des détails vestimentaires repérés sur les vidéos pour nous interpeller.
Nous devons adapter collectivement nos pratiques de prises d’images et de diffusion (photo ou vidéo) pour pouvoir faire face à cette répression.
Dans ce sens, nous invitons chacun.e à prendre connaissance des informations et techniques (effacement des métadonnées, effacement en cas d’interpellation ...) qui sont à disposition. »

Rappel à l’usage des manifestants :

La catégorie juridique de preuve est on ne peut plus floue, de sorte que la marge d’appréciation du tribunal reste immense. Aucune loi n’encadre avec précision l’usage des documents utilisés pour incriminer quelqu’un. Par ailleurs, le problème dépasse largement le cadre des procès, puisque bien des images ne sont utilisées par la police qu’à des seules fins de fichage et d’identification, pour grossir le vaste album de la délinquance. Qu’une image ne soit pas immédiatement dangereuse dans le cadre d’une inculpation ne veut donc pas dire qu’elle est inoffensive.
Il est évident qu’une vidéo filmant la continuité d’un acte a plus de poids lors de l’accusation – par exemple, un plan-séquence montrant le lancer d’un caillou, sa trajectoire dans le ciel puis sa tombée en piqué sur le casque de sa cible. Néanmoins, les cas récents tendent à montrer que la justice se satisfait de bien moins que ça. Le simple fait d’être visible sur une photographie à proximité, mettons, d’une banque redécorée ou d’un monticule de pavés, peut être utilisé contre nous. Aussi tout vidéaste ou photographe de lutte doit-il garder à l’esprit qu’il n’y a pas de risque zéro pour ceux qu’il immortalise.
Les trois « détails » principalement utilisés par la police pour les identifications sont : le visage, les chaussures, les oreilles (pour preuve, voir l’inculpation de cet homme à partir d’une expertise « orificielle » : https://lundi.am/Repression-contre-la-ZAD-Quand-la-police-joue-a-Ou-est-Charlie). Filmer une action « au sol », en s’en tenant aux parties postérieures du corps, ne réduit donc pas tous les risques. Aussi faut-il prendre soin d’en minimiser la visibilité, voire de les flouter. Le floutage n’est bien sûr requis que dans le cas d’actes pouvant être judiciarisés. Néanmoins, la police opérant par des recoupements de détails, ne pas flouter l’image de tel manifestant lors d’un moment calme du cortège ne veut pas dire qu’on le met à l’abris, puisque ce même manifestant peut être filmé par la suite lors d’un épisode plus sportif, et être identifié par ses vêtements.

Rappel à l’usage de ceux qui veulent faire des images :

Il est donc préférable, de manière générale, de ne laisser apparaître aucun visage. Le floutage étant une tâche fastidieuse, le plus pratique est d’adapter ses méthodes de tournage : privilégier les plans larges, et éviter tout plan rapproché ; filmer de préférence de dos ; diffuser en priorité les images au sein desquelles il y a beaucoup de mouvement, parce que cela rend l’identification plus difficile ; éviter de diffuser à une vitesse supérieure à 25 images/secondes, des vidéos en 48 ou 50 i/s étant beaucoup plus exploitables.
Du choix de l’emplacement dépendront beaucoup de choses. L’habitude veut qu’on reste avec les manifestants, surtout lorsqu’on est soi-même militant. Cela revient néanmoins à les exposer encore plus que nécessaire, même si l’on ne pense pas diffuser les images par la suite (il suffit d’être arrêté pour que la police dispose de toutes les images prises, avant même d’avoir été triées). Il peut être parfois plus judicieux de se couper du groupe pour choisir un angle masquant les manifestants tout en offrant une pleine vue sur les forces de l’ordre et leurs éventuels abus.
L’ambiance étant pour le moins tendue, les heurts se sont récemment multipliés entre manifestants actifs et toutes les personnes armées d’une caméra, qu’il s’agisse de journalistes très officiels ou de cinéastes amateurs désireux de documenter les luttes. Il est recommandé, pour les filmeurs, de se présenter avant d’actionner la caméra, d’expliquer son positionnement, le mode de diffusion des images, etc., bref d’installer une relation de confiance minimale. Rappelons aussi qu’un filmeur ami peut aussi, lors de mouvements de foule, de résistance ou d’attaque, se révéler un poids ou un obstacle s’il est proche du groupe en action et ne suit pas le rythme ou le sens du mouvement. Sa présence peut gêner, bloquer ou simplement angoisser. La tentation est grande de se trouver au plus près, « en immersion » (parfois simplement pour un surplus de spectacle non sans ambivalence), mais il est préférable, dans ce cas, de veiller à ne pas encombrer la voie, comme dirait la police.
Enfin, les images ne parlent pas d’elles-mêmes : elles s’adossent bien souvent à un contexte discursif pour produire du sens. Si vous diffusez des images, faites attention aux commentaires qui aideraient à l’identification de ceux qui s’y trouvent. Vous pouvez également désactiver les commentaires sur des plateformes comme Youtube. Attirer l’attention sur une action, alimenter le « buzz » ne manqueront pas d’attirer l’attention des enquêteurs. Mieux vaut proscrire les accusations de « flics en casseurs » car la police sera bien obligée de diligenter une enquête pour démentir la rumeur, ce qu’elle n’aurait peut-être pas fait autrement (voir l’affaire du « ninja » de la manifestation du 16 octobre 2010).

Quelques conseils pratiques :

Toujours filmer les interpellations, parce que la présence des caméras inhibe les embardées violentes des agents et parce que cela permet à la legal team d’identifier les prévenus. Une telle vidéo ne met en danger l’interpellé qu’à partir du moment où il résiste vivement à l’arrestation.
Toujours avoir une deuxième carte mémoire avec soi, ou d’autres moyens de dupliquer les fichiers, et des amis à qui les donner pendant la manifestation.
Point essentiel : si l’on a eu l’occasion de filmer une évidente bavure d’un policier, ne pas la diffuser automatiquement. D’abord contacter la Legal Team et, si possible, les victimes, ainsi que des collectifs surveillant les violences policières, et attendre avant de poster la vidéo sur internet. Cela parce qu’un policier, après une action, doit rédiger un procès-verbal – et s’il a un peu déraillé, il risque d’omettre certains détails dans ledit PV. Sortir la vidéo une fois le PV écrit permet de confronter l’agent et de l’attaquer pour faux et usage de faux en écriture publique. Par contre, si la vidéo est sortie trop tôt, le policier pourra infléchir en conséquence son PV et surtout développer une stratégie de défense, sachant que les moyens ne lui manqueront pas pour se disculper (ne serait-ce que le principe de légitime défense de plus en plus utilisé).

Pour plus de détails : aller sur l’article « De l’usage des caméras en manifestation »

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