L’annulation, annoncée hier en catimini par Jean-Christophe Cambadélis, de l’université d’été du PS a pris tout le monde de court. À commencer par les partisans de la Belle Alliance Populaire qui, réunis samedi, s’étaient donnés rendez-vous pour la fin août à Nantes.
Le parti au pouvoir privé d’université d’été par quelques groupuscules de l’« ultra-gauche anti-démocratique » ? Voilà qui ne laisse pas de surprendre. D’autant que cette annonce survient précisément le lendemain d’une réunion de préparation, à Nantes, des opposants à ce raout, réunion où s’était pressée une foule bigarrée de syndicalistes, d’artistes, de zadistes, de Nuit Deboutistes, de militants, d’associatifs et autres ennemis de la « loi travaille ! ». Réunion, surtout, qui s’était tenue, comme il est de rigueur en plein état d’urgence, sous une scrupuleuse surveillance policière. Il faut dire que l’université d’été du PS allait se dérouler en même temps que les fêtes de l’Erdre, fêtes gratuites qui drainent en ville un public populaire qui aurait pu pousser l’ivresse jusqu’à des excès « révolutionnaires » contre le congrès et les congressistes. L’impopularité du pouvoir en place est-elle si grande qu’il ne puisse même plus se réunir sans un dispositif de sécurité digne des contre-sommets ? Est-il donc vrai que « tout le monde déteste de Parti Socialiste » ainsi que se plaisent à le hurler les manifestants des derniers mois ? Le graffiti « Vivement l’université d’été du PS ! », qui avait maculé la belle ville coloniale de Nantes un jour de défilé et suscité tant d’émois dans l’exécutif local et les journaux, aurait-il suffi à amener à une décision si grave ? Ou est-ce la proximité de la ZAD et des menaces d’expulsion qui ont contraint la Belle Alliance Populaire à une telle extrémité - au point que certains parlent déjà, à son sujet, de « Belle Alliance Impopulaire » voire de « Belle Alliance de Bâtards » (BAB), ainsi que se plaisent à l’appeler ceux qui scandent aussi « All Cops are Bastards » ? Alors que chaque déplacement de ministre est l’occasion d’une nouvelle humiliation pour l’intéressé, « on se demande comment les socialistes vont réussir à faire campagne pour 2017 », avouent nos confrères de Libération. Jusqu’où ira le Parti Socialiste dans la mise en œuvre de sa propre destitution ? Lundi Matin, qui avait relayé l’appel « À l’abordage » contre cette université d’été, ne pouvait pas passer sous silence ces questions angoissantes.
Renseignements pris, il semble que les craintes du gouvernement soient de nature plus fondamentales. Alors qu’il s’emploie avec l’aide des syndicats, de tour du bassin de l’Arsenal en manifestations en cage, à organiser une défaite estivale pour le mouvement contre la « loi travaille ! », l’université du PS se désignait naturellement comme le prochain rendez-vous pour l’ensemble de ceux qui, syndiqués hors contrôle, retraités politiquement actifs ou jeunes masqués, ont défrayé la chronique le 14 juin dernier à Paris. L’Union Départementale CGT 44 appelait d’ailleurs, elle aussi, « à l’abordage ». Mais surtout, ce nouveau rendez-vous, nous dit-on, donnait aux forces qui se sont levées partout dans le pays ces derniers mois une occasion évidente d’enjamber le gouffre des vacances et annonçait une année politiquement très chaude avec, à la clef, l’impossibilité de lancer une campagne présidentielle qui n’en finit plus de balbutier et ne convainc d’ores et déjà personne. « Il fallait impérativement dérober à l’adversaire toute cible logique », nous explique une source proche du dossier. Cette logique de guérilla, qui consiste pour le faible à empêcher le fort de le frapper à défaut de pouvoir l’attaquer de front, en dit long sur la situation actuelle du pouvoir en place. Alors que s’est répandue, ces derniers mois, l’idée que la « loi travaille ! » serait l’otage d’une lutte entre deux minorités – la minorité gouvernementale qui ne parvient plus à faire voter ses lois au Parlement et un mouvement loin d’être massif -, l’annulation de l’université d’été du PS indiquerait que la minorité gouvernementale serait elle-même en minorité par rapport au mouvement. Une situation inédite. Le temps risque de sembler bien long d’ici l’élection présidentielle.
Du côté des opposants à la « loi travaille ! », la reculade socialiste est prise avec philosophie. Les manifestations nassées ni la retraite en bon ordre des centrales syndicales ne les inquiètent. « Nous ne sommes pas dans une logique de mouvement, mais dans une logique de plateau », expliquent-ils. « L’intensité politique qui a monté ces derniers mois ne va pas se débander comme ça. Ceux qui gueulent sans y croire « ça va péter » ont tort : il faut plutôt dire « ça va durer » ! Tout a commencé parce que les politiques n’ont plus aucun titre à nous gouverner. C’est pour ça que cette loi, au fond, ne passe pas, même si elle passe au Parlement. Notre prochaine étape, c’est de réunir localement et nationalement toute la foule hétéroclite des cortèges de tête, pas juste les jeunes « autonomes » masqués. Tous ceux qui ont pris la tête des cortèges, qu’ils soient syndiqués ou pas, sont des « autonomes », parce qu’ils se sont rendus autonomes des cadres institués. Les occasions ne vont pas manquer, sauf à ce que le pouvoir devienne définitivement invisible. Notre prochain pas, c’est d’empêcher la campagne présidentielle parce qu’elle est là pour refermer les possibles que nous vivons depuis des mois et qui font qu’on respire tellement mieux dans ce pays. Empêcher le Parti Socialiste de gouverner, c’est bien. Reprendre notre vie en main, c’est mieux. » Les esprits les plus échaudés poussent carrément le bouchon jusqu’à parler de « destitution ». Dans leurs vues, la question n’est pas de conquérir le pouvoir au nom du peuple ainsi que le promet « cette vieille charogne de Mélenchon », mais de construire un processus tel que les gesticulations du pouvoir ne parviennent plus à embrayer sur la vie réelle et deviennent une sorte de divertissement pour les pensionnaires des maisons de retraite, « maintenant que les Guignols de l’info ont disparu ».
L’un d’entre eux n’hésite pas à nous lire un passage d’un vieux texte autonome de 1990 qu’il tient en main : « On pourra donc parler d’un mouvement autonome réellement constitué en force sociale active le jour où l’absence de tout exutoire politique à la puissance sociale des autonomies poussera les individus dépossédés à entrer dans une phase de désobéissance sociale massive, transgressant un à un les interdits du capitalisme. Pour la société politique en crise, l’heure de l’affrontement aura alors sonné. » Il conclut, sentencieux : « L’élection présidentielle n’aura pas lieu. »
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