Zoopolice : Des vocations dévoyées à l’HP du Rouvray.

Un joyeux carnage. Une ménagerie improbable. Des années brutes passées par intermittence entre son domicile et l’ancien Henri Hey - une des unités de soin de l’hôpital psychiatrique de Saint-Etienne du Rouvray. Encore aujourd’hui, il existe bien des unités au CHRS [1] et ailleurs en France dans un état déplorable, délabrées et non conformes aux normes en vigueur.

Un sacré bordel cette unité, mais si attachante. Dès l’entrée, le tintement métallique de l’énorme trousseau de clés vous accueille suivi d’un « krak krak » dans la serrure. C’est Marc, l’aide soignant (A.S.). Il arbore toujours un sourire discret et parle d’une voix douce.

Fanny entre dans la grande salle commune faisant également office de réfectoire tout au bout de la pièce. C’est vraiment très grand, surtout l’après midi.

A l’extrémité, une toute petite infirmerie et une petite cuisine aux proportions sous-dimensionnées par rapport à la quantité de patients. C’est là que se trouve Vanessa. Elle apprécie Fanny. Elle-même est toujours très apprêtée et très maquillée. Elle règne sur le temps des repas car elle est aide soignante.

C’est l’heure du petit-déjeuner. Un à un, chacun sort de son nuage de Tercian, d’acide valporique et de sels. Peut-être l’heure la plus permissive car chacun vient quand il veut de 07h00 à 09h00 pour se restaurer. Pour ceux restés scotchés par les médicaments, ils ne déjeuneront pas ce jour-là.

Il y a Jean-Marc, l’ours mélancolique et pyromane accompagné de Rémi en très grosse dépression depuis qu’il a perdu son gamin. Ils déjeunent à une table l’un en face de l’autre en prenant garde que personne ne s’assoit à leur table, observant ainsi un périmètre de sécurité autour d’eux.

Arrivent ensuite, quasiment en bande, riri, fifi et loulou, les trois mineurs de l’unité. 

Puis madame Morel, le crocodile, en déambulateur. Elle pleure tout le temps, mais vraiment tout le temps. Ça énerve tout le monde, soignants comme soignés.

Vers 08h30, le réfectoire s’éveille pour de bon. Il y a Marie, le kangourou borderline et un peu lésé, il y a Vincent et Manuel les deux castors schizos qui construisent et déconstruisent leurs univers, et la tablée des quatre loutres bipolaires, facétieuses mais labiles. Castors et Loutres s’entendent bien, ils partagent peut-être le même élément finalement.

09h00 : prise des médicaments.

09h30-12h00 : rien à faire. Rien du tout. Rien à foutre.

En théorie, l’unité comprend les trois modes d’admission : l’hospitalisation d’office, l’hospitalisation sous la contrainte d’un tiers et l’hospitalisation libre. Pourtant, peu de gens ont le droit de sortir, si bien que Fanny n’a pas la possibilité d’aller se balader d’elle-même. Sur le moment, elle ne comprenait pas pourquoi. Elle était bien venue de son propre chef se soigner à la première « hospit’ ». 
Elle a appris plus tard que les psychiatres avaient convaincu et autant dire fait pression, auprès de sa famille pour la placer en hospitalisation sous contrainte. Seulement, elle ne le comprit que des années plus tard, tant l’omerta régnait sur ce sujet. Les Infirmières lui répondaient que les médecins ne voulaient pas qu’elle sorte, un point c’est tout. Or, il lui aurait été plus compréhensible qu’on lui dise qu’elle était hospitalisée sous contrainte car finalement quoi qu’on en pense, cela aurait donné une logique aux choses dans la tourmente. Répondre bêtement à des gens intelligents et sensibles n’a jamais arrangé qui que ce soit. On aurait pu lui expliquer que chaque unité a son propre mode de fonctionnement et que les sorties relèvent du bon vouloir du chef d’unité selon ce qu’elle en a compris. Ce qui vaut pour Henri Hey ne vaut pas pour une autre unité. Cela peut être difficile à comprendre au premier abord mais chaque unité à ses règles et on y tombe au hasard.

Les patients ont tant besoin de logique et de cohérence dans ces moments de désarrois et de souffrance. 

Admettons que Fanny sorte. Admettons qu’elle fugue, puisque c’était la plus grande peur des médecins. 

Où serait-elle allée ? Faire un tour en ville ? Prendre un café avec une amie ? Et alors ? Elle n’était plus atteinte comme dans les premières semaines car elle réalisait qu’elle avait des maux.

Ce qu’elle avait déjà compris c’est que l’unité, quoi qu’on en pense, lui apportait du réconfort et une protection. Elle n’avait nulle part où aller. Un peu comme dans un village perdu et isolé, un village étrange avec ces rapports humains complexes mais où il y a un feu et de la nourriture.

Alors, ne faisons rien de nos journées, puisque c’est le programme. Or, les patients font toujours quelque chose, comme tout un chacun. Fumer plus d’un paquet par jour dans un fumoir dégueulasse de 9m2.
Tenter de lire un paragraphe avant que la vue ne se brouille à cause des traitements. Certains ont arrêté de fumer depuis vingt ans et s’y remettent par ennui et opportunisme, alors, est-on vraiment dans le soin ?

Il y a les artistes en herbe et les hyperactifs qui dévalent les escaliers en permanence. Car voyez-vous, de ce que Fanny en a compris, c’est ce que la zoopolice recherche. Voilà l’enquête. Laisser par l’ennui se révéler les bêtes. Seul le traitement compte. Rien ne doit le flouter. 

Un zoo avec des préposés aux soins et aux dressages où de beaux animaux rares et intrigants ne seraient là non pas pour préserver leurs caractéristiques et leur patrimoine génétique, mais bien pour surveiller leur adaptation éventuelle dans un milieu fermé et donc pour une société pas beaucoup plus ouverte.

Alors un rhinocéros part en isolement. Quelqu’un est venu lui parler à sa table ce midi, puis cette personne s’est assise en face de lui. Le rhinocéros lui a planté une fourchette dans le front et voilà. 

Pas plus d’émotion dans le réfectoire puisque dorénavant Fanny n’a plus peur du mot « iso ». On n’en parle pas mais on sait où c’est. On ne s’émeut plus non plus car c’est ancré dans le quotidien. On s’habitue à tout, surtout dans un espace contigu comme une unité.

Fanny a peur de la pièce en elle-même. Elle se situe en dessous de sa chambre et elle entend les cris et ça la glace d’effroi. Avoir peur de l’inconnu, cela est bien normal. Un jour, elle demanda à un congénère qui y était allé et elle le questionna sur l’intérieur. 
Une réponse laconique l’attendait. C’est une pièce toute petite, délabrée et sans fenêtre avec un matelas et des sangles. Souvent, le matelas est à même le sol pour qu’une bête bien souvent douée et pleine d’instincts de survie ayant encore une âme bien vivace et tenace s’y allonge quelques heures. Une âme qui aimerait encore malgré tout ressentir la gravité avant de s’échapper pour de bon au moment T.

Le placement en isolement pour agression à la fourchette pourrait être débattu. Une personne a désormais quatre jolis petits points réguliers sur le front et c’est effectivement d’une violence bien concrète.

Mais que faire du placement en iso pour avoir dit « non » ? Pour rébellion ? Ou tout simplement parce que la personne est exaltée ?

Et que faire du pire ? Être en iso tout simplement parce que les infirmières et les aides soignantes n’ont plus le temps de s’occuper d’une personne ayant exprimé de façon désordonnée le besoin de parler ; moyennant des heures et des heures passées à l’apaiser avant d’espérer un semblant d’échange après l’injection. C’est donc répondre par la coercition à un élan incontrôlé émanant d’un esprit sévèrement troublé commandant encore un corps plein de ressources quel qu’en soit le but, même destructeur.

Et pire que tout. Être en iso suite à un changement d’unité quand il manque un lit et qu’il n’y a plus que cette place là ? Peut-on entendre cela ?

L’isolement, c’est acheter la paix sociale sur un navire où le capitaine ne contrôle plus ses marins et les place aux fers pour tentative de mutinerie.

Que faire de la souffrance des infirmiers et des A.S., les Aide Soignants ? Elles souffrent. Ils souffrent. Cela se sent dans l’unité. Soit par l’énervement soit par la lassitude. Longtemps après, Fanny discutait avec l’amie d’une amie infirmière psy. En aparté, elle lui confessa la désillusion de son engagement : la trop grande difficulté à soulager ceux qui souffrent de désordres mentaux complexes mais pourtant en réponses à des existences peu communes. De baisser les bras non pas par renoncement total mais par manque de temps, de moyens et d’un élan émanant du chef d’unité. Quant à la direction, elle est belle et bien aveugle, sourde et reste muette. Elle dessert l’ordre des médecins, les soignants, les thérapeutes, qu’ils soient psychologues, ergothérapeutes, Art-thérapeutes ou coach-sportifs. Elle mutile ses propres organes.

Fanny fût témoin de nombreuses scènes perturbantes. Mais l’une d’entre elle l’a marquée plus que d’autres. Pourtant, sur l’échelle de la honte, il y aurait eu pire. 

C’était une jeune fille. Son haut de pyjama bleu était trop grand si bien que l’on voyait un peu trop sa poitrine et son bas de pyjama bleu. Ayant son élastique distendu, elle devait le retenir par la main pour ne pas que l’on voit ses fesses. Elle se hâtait dans le réfectoire en direction de l’étage mais l’envie était trop forte, elle s’était fait pipi dessus puis glissa dans son urine en gémissant. Une A.S. arriva puis l’engueula non pas comme une enfant mais plutôt comme un petit chat sans défense. Elle s’était recroquevillée, baignant dans sa pisse. L’A.S. la releva par le haut de son pyjama et de sa tunique, découvrant ainsi sa poitrine. La soignante dit qu’elle en avait marre mais surtout qu’elle n’avait pas le temps. Et c’est bien vrai, aujourd’hui les A.S. n’ont plus une minute pour les incidents entre la préparation des repas, les toilettes, les draps et les réunions d’équipe. Peut-on oublier que certains médicaments comme le Tercian sont trop largement administrés et rendent possiblement incontinent ? Pourtant, ce sont les A.S. qui sont au plus proche des patients, qui touchent leurs peaux de la façon la plus bienveillante possible pour prodiguer des soins quand certains patients n’ont pas été touchés par quiconque depuis des mois et peut-être même des années.

Car ni les A.S. ni les infirmières ne sont à blâmer. Un simple interne prendrait-il la peine de gérer cet incident ? Mettrait-il les mains dans la pisse ? Non pas par manque d’humanisme mais par « respect » de l’ordre hiérarchique, par « respect » de l’échelle de valeur due aux diplômes et aux castes de l’hôpital.

Alors à qui demander des comptes ? Au professeur du service ? Au directeur ou la directrice du C.H.R.S. selon la promotion et le bon vouloir ? A la Haute Autorité de Santé ? Alors, pourquoi ne pas directement demander des comptes à l’Etat 

Ne vous inquiétez pas, la zoopolice veille.

Un slogan que l’on pourrait très bien imaginer être adressé aux familles. Les patients sont bien gardés mais surtout regardés. Pour Fanny, cela devient une évidence. L’observation du comportement du patient par l’ennui ou plus exactement de ce que fait le patient de son ennui. Pourtant, n’étant pas en pleine conscience de ce qui se passait alors, elle se perdait dans des rapports sociaux, des conversations infinies avec ses congénères et avec le sentiment d’appartenance à un nouveau groupe. Et les mois d’hospitalisation s’accumulaient.

Aujourd’hui elle voudrait dire et prévenir de futurs patients en leur disant : « Restez au maximum dans votre chambre, ne connectez pas trop avec les autres, échangez peu, renfermez-vous sur vous-même si vous ne pouvez plus vous recentrer sur vous-même. » Sont-ce de bons conseils à diffuser ? Fanny s’interroge toujours.

Pourtant, face à l’ennui, cela est bien difficile de tenir. Un peu comme un interrogatoire silencieux de plusieurs mois. C’est une situation intenable pour bon nombre d’individu.

Il se trouve qu’après s’être rendu compte de cela, Fanny passa des temps plus court à l’hôpital. L’HP pourrait répondre que c’est parce que la santé de Fanny s’était améliorée grâce aux soins et en faire un unique argument. Mais elle en est persuadée, comme au commissariat, « tu la boucles et tu restes lisse ».

Mais est-ce là son véritable désir ? Si elle admet l’utilité de la médecine psychiatrique, elle en rejette son pouvoir répressif.

Aujourd’hui, Fanny va bien, aux dernières nouvelles, elle doit résilier davantage son internement que l’acceptation de sa différence car dans son petit appartement elle reproduit encore de temps à autres son enfermement au lieu de vivre pour elle-même et avec les autres. Fanny aime la vie mais a encore la sensation que la vie ne l’aime pas. A elle de progresser seule face aux incompréhensions, à la stigmatisation et aux moqueries. A elle de vouloir embrasser la vie avec envie et passion comme au temps de ses 27 ans, avant l’âge où quelques superstars partent, avant le début de cette dépression atmosphérique qui conduit à l’ouragan de ses 30 ans, qui souffla sur sa vie quelques jours après son gâteau d’anniversaire et ses bougies. Elle ne le fête plus vraiment maintenant et elle aimerait bien un jour, peut-être, faire une boum pour ses 40 ans avec tous ses amis. Ceux qui sont restés face au cyclone et les nouveaux qui l’ont compris. Elle mettrait Nirvana, pourquoi pas les Red Hot Chili Peppers de la grande époque et Radiohead entrecoupé de l’album Homework des Daft Punk pour se rappeler ses 20 ans et d’autres titres bien « vénère » pour danser et « kiffer la vie ».

Epilogue.

Cette zoopolice avec qui Fanny avait eu affaire mais surtout qu’elle avait observé silencieusement n’a pourtant pas fait de formation conduisant à une organisation carcérale et le maintien de l’ordre par la répression. Elle doit être dissoute. Des niveaux CAP, des niveaux Bac, des Bac+3, des Bac+5, des Bac+8 et bien plus encore, diplômés du secteur de la santé ou des femmes et des hommes de ménage, n’ont rien avoir avec cet organe nauséabond et malveillant. Laissons-les vivre ce désir profond de réconforter Fanny et de soulager ses maux les plus destructeurs et les plus sombres et de ranimer pour le plus longtemps possible l’envie de vivre pour soi, de trouver un équilibre et non de sous-vivre malgré les autres.

Laissons-les épuiser leur labeur sous quelques formes que ce soit s’ils le souhaitent et dans la bienveillance, dîner quand le planning le peut en famille ou entre amis l’esprit apaisé, sortir au ciné ou boire un verre avec leurs copains la tête libérée et dormir paisiblement sans la tourmente d’agir de façon contraire à leur formation initiale et au quotidien. Laissons-les avoir la vie que Fanny se souhaite à présent depuis quelques années, chacun souffrant alors de quelques maux communs conséquents d’un univers commun, bien à l’abri des regards derrière des murs et très loin des préoccupations du pays.

Sortons par le col de leurs costumes la zoopolice et réhabilitons la blouse blanche car cet habit doit rester immaculé autant que possible de toutes tâches obscures et tenaces.

Si vous croisez Fanny au hasard des rues tant qu’elles restent libres, tant que nous ne vivons pas tous sous le joug des matons et dans un zoo, elle vous fera un petit sourire et vous le lui rendrez comme un cadeau car Fanny le sait, au fond de vous, tout au fond de ces existences, vous aimez votre profession. Vous aimez bien Fanny à votre manière, quand la blouse est troquée pour une jolie veste d’été ou un blouson en cuir.

Notes

[1Centre d’hébergement et de réinsertion sociale

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