Tout le monde a entendu parler du mouchard informatique des urgences, le fichier SIVIC qui recense à leur insu les manifestants·e·s bléssé·e·s pris·e·s en charge aux d’urgences des hôpitaux publics. À l’AP-HP, à Paris, Martin Hirsch, l’ex-porte-flingues « ès pauvreté » de Sarkozy, actuel patron de l’AP-HP, a d’abord expliqué qu’il n’y était pour rien — alors qu’il a lui-même donné des consignes pour que ce registre soit rempli dans le cadre des manifs Gilets jaunes — et qu’aucune donnée médicale n’était recensée, alors que des documents publiés ont montré le contraire.
On peut rappeler que SIVIC a été créé officiellement pour recenser les victimes lors d’attentats et de mieux informer leurs proches. Comme les Casta-boys n’auront pas droit à leur sale fichier des manifestant·e·s (censuré par le Conseil constit’ après le vote de la loi antimanif), SIVIC tombe à pic. On a entendu dire que l’utiliser pour réprimer la contestation sociale était un « détournement », histoire de laisser croire que des agents trop zélés l’auraient rempli de manière « inappropriée » ! Pas plus qu’il n’existe des « bavures policières », aucun fichier informatisé alimenté dans notre dos n’a d’autre utilité que disciplinaire, ça reste une petite main armée de la répression, même si on l’enrobe toujours de précautions d’usages ou de finalités utilitaristes.
Le syndicat des médecins urgentistes a dénoncé dans la presse ces méthodes pourries, mais on n’a trouvé aucun texte qui donne aux patient·e·s des conseils pour riposter. On ne va pas se laisser ficher à l’hosto pour finir entre les mains des flics et des juges ! En creusant un peu, on peut donner quelques pistes.
SIVIC a été créé par décret en mars 2018, lié à la naissance d’une cellule de crise d’aide aux victimes (la CIAV) lancée après les attentats de 2015 et 2016. L’alimentation de cette base de données se déclenche sur ordre du Premier ministre dès qu’un événement entraîne une « situation sanitaire exceptionnelle ». Certains vous diront qu’un truc qu’on appelle la CNIL a « autorisé » le dispositif. Oui, mais deux ans avant, en juillet 2016. Et elle n’a fait que des recommandations, rien de contraignant : l’État a fait ce qu’il a voulu après. Le projet de décret prévoyait par exemple « une politique de gestion des habilitations afin de réserver l’accès aux données de SIVIC aux seuls représentants du ministère de la Santé au sein de la CIAV et aux personnes en charge de la direction de la CIAV. » Oui, mais voilà, le décret de 2018 évoque d’autres « destinataires » : « Seuls les agents des agences régionales de santé, du ministère chargé de la santé et des ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères (...) sont autorisés à accéder aux données. »
Qu’est-ce qu’on enregistre dans SIVIC ?
Tout ce qu’il faut pour intéresser tout flic en puissance. On y trouve l’identité complète du patient — nom, prénom, date de naissance, sexe, nationalité, coordonnées (téléphone et courriel) de la victime et d’un proche — numéro du dossier hospitalier (date d’entrée, établissement), lieu et date de l’événement. On recense aussi l’état de la personne (décédé, grave ou léger), soi-disant « sans précisions sur les pathologies ». Faux, car un subtil champ « Commentaires » peut servir à y ajouter des mentions médicales (types et causes probables des blessures – par LBD, matraques ou éclats de grenade) ou des détails individuels (« chaussettes vertes à petits pois, cheveux courts, manque petit orteil pied droit »…) qui feront la joie des flics et de la préfecture… (Ici dans cet article de presse on peut voir une capture écran vide, qui émane de l’AP-HP)
Plusieurs choses à tenter si on est concerné. Si l’on est en moyen de le faire, bien entendu. La présence de proches à vos côtés sera d’autant plus appréciée.
Dans une brochure qui date de 2016, Petit guide rapide des manifestant·e·s aux urgences (trouvé sur le site du réseau de défense collective Rajcol), le syndicat Sud Santé Sociaux de la région de Rennes indiquait qu’on a un « droit à l’anonymisation » de ses données hospitalières :
« Si un·e manifestant·e craint quoi que ce soit, il peut solliciter, à tout moment de son séjour, le droit à la non-divulgation de sa présence. Le meilleur moyen de la garantir est alors de demander l’anonymisation de son dossier (mais pas l’anonymat qui lui n’est prévu que dans des situations médicales très spécifiques). Pour des raisons de gestion de dossier informatique et de résultats d’examen, il est toutefois préférable de le demander dès votre entrée. L’identité ne sera alors rétablie qu’à la sortie de l’hôpital, pour reprendre un suivi traditionnel (suivi des résultats, rendez-vous éventuels...) »
À propos de SIVIC on peut carrément faire jouer son droit à s’opposer au traitement. Normalement, on doit même vous signifier que vous pouvez vous y opposer. Mais en pratique, à l’hôpital, on ne pense pas à ce genre de trucs. Et encore faut-il qu’on vous informe de ce foutu fichier ! La procédure prévoit que c’est la cellule de crise, la CIAV, qui se charge d’informer les personnes concernées. Après une banale manif, n’y comptez pas. D’ailleurs, preuve que la CNIL ne sert à rien, elle avait recommandé l’obligation d’informer les patients. Pendant l’affaire, le ministère de la Santé a reconnu n’avoir rien fait et « assure que l’erreur sera réparée à partir du mois de juin. » Euh… pourquoi seulement au mois de juin ?
Bref, si à l’hôpital on vous demande un numéro de téléphone « pour le dossier » — pareil en tant que « proche » — c’est le moment de vous poser des questions : de quel dossier exactement ? Dès que vous avez la tête à ça, demandez donc deux choses : que votre dossier hospitalier ne soit pas communiqué à quiconque d’extérieur aux services médicaux ; et qu’aucune donnée nominative ne soit inscrite dans SIVIC sans votre accord ou celui d’un·e proche·e désigné·e par vous.
Si ça peut impressionner, citez l’article L1110-4 du Code de la santé publique qui encadre, pour « toute personne prise en charge par un professionnel de santé », son « droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant » : « La personne est dûment informée de son droit d’exercer une opposition à l’échange et au partage d’informations la concernant. Elle peut exercer ce droit à tout moment. » Gardez en tête aussi les peines prévues si on y porte atteinte : « Le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Une fois les données enregistrées, vous avez toujours un droit d’accès (courrier à la DGS, la direction générale de la santé du ministère), puis celui d’en exiger la suppression des données. Combien de temps les données sont conservées ? Le texte est flou : « pendant la durée de prise en charge de la personne dans le système de santé », ce qui peut prendre des années…
Comment gérer la présence des flics à l’hosto ?
C’est arrivé qu’après avoir été tabassé·e·s ou touché·e·s par des tirs de LBD ou de grenades, certain·e·s manifestant·e·s emmené·e·s aux urgences ont du se coltiner les flics qui cherchaient à les interroger voire à les interpeller dans leur chambre d’hosto ! Bonjour la double peine… Pourtant, on peut riposter — ou compter sur ses proches pour agir si on est soi-même trop amoché·e —, quitte à prendre à partie le personnel médical, pour échapper à ces casiers sanitaires qui vont encore moucharder dans notre dos.
Inutile de dire que le respect de votre secret médical est inversement proportionnel au respect, par le personnel médical, de la hiérarchie et de l’autorité — le chef de service ou les flics. Faites-leur comprendre que le secret médical, c’est leur job de le préserver, et que se rendre complice d’une divulgation de données « sensibles », même auprès de forces de police sans savoir si les procédures sont en règle, est une infraction pénale.
Sud Santé, dans sa brochure — qu’il est conseillé de relire par les temps qui courent —, donne des pistes aux agents pour refuser de répondre aux flics qui se pointent et cherchent des infos sur certains patients :
« En pratique, les OPJ fonctionnent souvent au bluff : ils appellent le bureau des entrées des urgences, ou se présentent au guichet, et demandent des renseignements, arguant de l’urgence d’une situation, de l’inquiétude de familles, du danger que représente une personne.
Légalement, les agents ne doivent leur donner AUCUNE INFORMATION à ce stade et les renvoyer à la Direction générale. Les OPJ sont souvent très mécontents et cherchent parfois à exercer des pressions supplémentaires, mais n’ont aucun moyen de se soustraire à la procédure. Cependant, le degré d’information des agents sur ces procédures est très variable, et certains de nos collègues donnent malheureusement directement des informations, notamment de présence ou non ».
Maintenant, renvoyer les bleus vers la direction générale de l’hôpital ne protégera personne. Le code de procédure pénale est blindé de mesures impossibles à vérifier qui permettent aux flics de venir foutre leur nez dans votre vie jusqu’à une chambre d’hôpital. Vous pouvez demander à quel titre ils sont là — enquête préliminaire (aux ordres du proc), de flagrance ou sur ordre d’un juge d’instruction ? Ce ne sont pas les mêmes régimes et parfois vous avez un mot à dire. En tout état de cause, refusez par principe que vous soyez entendu dans ces conditions !
Blessé·s ou proches de blessè·e·s : les bons réflexes
Les collectifs d’aide et de soutien aux victimes de la police, comme l’Assemblée des blessés, Face aux armes de la police ou Desarmons-les !, ont écrit un aide-mémoire qu’il est bon de relire attentivement.
On a résumé les points essentiels. Que vous soyez blessé·e (si vous êtes en état), ou proche de blessé·e :
- S’assurer que le service qui vous prend en charge est apte à opérer votre blessure : les blessures occasionnées par les LBD ou grenades sont des blessures de guerre qui NE PEUVENT PAS être opérées dans n’importe quel service d’urgences).
- Précisez immédiatement aux médecins qui établissent les premiers certificats médicaux qu’il s’agit d’un tir de police ; demandez que la cause et la nature de l’arme y soient indiquées (« balle de caoutchouc de type Flash ball » ou « plot / éclat de grenade »).
- Insistez pour garder avec vous les copies du certificat médical (nature et causes de la blessure) ou demandez que toutes les pièces du dossier médical soient copiées et confiées à un proche.
- Avant toute opération ou acte médical, demandez à ce que les résidus de grenade (éclats ou autre) soient conservés et certifiés par le médecin/chirurgien qu’ils proviennent bien de votre corps (la police tente la plupart du temps de faire croire que la blessure ne vient pas d’une de ses armes).
- Si les flics sont là, refusez de les voir. Le droit au silence ne s’arrête pas à la porte de l’hosto ! Parler aux flics dans ces conditions (surtout sous l’effet de médicaments !) n’a aucun sens. S’ils insistent ou s’imposent, faites scandale et exigez du personnel médical qu’il vous aide à les tenir éloignés de vous.
- Confiez vêtements ou effets personnels à une personne de confiance pour qu’elle les mette à l’abri ailleurs qu’à l’hôpital ou à votre domicile. Notamment s’ils portent les marques de l’incident (sang, traces…) : ne laissez pas les policiers saisir des effets qui pourraient constituer des preuves à charge ou à décharge, précieuses pour la suite.
- Rappelez au personnel hospitalier (secrétaire, infirmier, médecin) qu’il est tenu au secret médical et qu’il ne doit pas répondre aux questions des policiers.
Porter plainte ?
Le texte précité rassemble aussi un tas de conseils d’amis sur la prise en charge du trauma psychologique, comment agir face aux médias et (enfin) comment porter plainte contre la police.
Sachez que le certificat médical initial ne suffit pas pour votre dossier de plainte contre les flics : il vous faut un papier des UMJ, unités médico-judiciaires. On ne décroche un rendez-vous aux UMJ qu’après avoir porté plainte. Pour ce faire :
- Possible de déposer dans un comico proche de votre domicile ; déconseillé, surtout si ça s’est passé dans votre quartier !
- L’État vous encourage à faire une « préplainte » en ligne, mais pour la valider il vous faudra vous déplacer dans un comico ;
- Passez direct par la case IGPN (ou IGGN si des gendarmes sont impliqués). Allez-y avec un·e proche ou un·e avocat·e, c’est parfois plus rassurant. À Paris, l’IGPN est 30, rue Hénard, 75012.
- Lors du dépôt de plainte, demandez un papier afin que vous puissiez vous rendre aux UMJ (à Paris, à l’hôtel Dieu).
Une fois aux UMJ :
- Prenez rendez-vous au plus vite par téléphone (au lieu de s’y déplacer spontanément).
- Le jour du rendez-vous, amenez toutes les pièces récoltées depuis, comme des photos des blessures (avec les dates précises des clichés).
- L’UMJ déterminera les jours d’arrêts de travail (ITT) qu’ont entraîné vos blessures ; elles peuvent être différentes du certificat initial.
- Sachez qu’il est possible de faire reconnaître des ITT dites « psychologiques » en fonction des effets post-traumatiques que vous ressentez. Parlez-en aux médecins.
Si vous avez d’autres trucs à transmettre, vous pouvez contacter l’Assemblée des blessés (assemblee-blesses(at)riseup.net + compte FB) ou venir en parler à la Coordination contre la répression (réunions tous les mardis à la bourse du travail).
Nouvelle édition actualisée de la brochure donnant d’utiles conseils pour se protéger de la répression.
article via paris-luttes.info
Compléments d'info à l'article