Conjurer le virus

Depuis le début du confinement, chacun parle de sa redécouverte du pépiement des oiseaux, du bruissement du vent dans les feuilles des arbres, du clapotis des ruisseaux. Nous redécouvrons que le vivant n’est pas que l’humain, mais que nous prenons part à un milieu naturel.

Pendant ce temps, nos gouvernants cherchent à faire redémarrer l’économie par tous les moyens possibles. L’Etat est capable de faire passer la réouverture des écoles comme une préoccupation pour ceux qui ont été le plus mis en difficulté par le confinement, quand plus personne n’ignore qu’il s’agit juste de permettre que les parents retournent au travail.

Si dans un premier temps nous cherchions à comprendre la situation, à saisir ce qu’il était possible d’y faire ou pas, aujourd’hui, l’ « après » commence à se faire sentir. Parce qu’on veut en sortir, et que le discours de Marcon le 13 avril était sans ambiguïté : « Le moment que nous vivons est un ébranlement, intime et collectif. Sachons le vivre comme tel. » L’Etat se prépare et certainement pas dans une direction qui nous intéresse.
Donc, penser « l’après ».

Emmanuel Alloa, dans La contingence du virus, attire l’attention sur le risque d’un nouveau discours de nécéssité, dicté par le virus et les réponses simplistes que celui-ci exigerait :
« C’est là en effet que résident les effets liberticides les plus pernicieux, car ils installent durablement le sentiment que la voie est toute tracée, dans un sens comme dans un autre. Des remèdes et des prescriptions qui, nécessaires et incontournables, n’admettraient aucune contradiction. »
On voit en effet qu’un champ des possibles a été ouvert par l’ère Covid-19, un champ des possibles qui rend par exemple acceptable la virtualité des rapports sur la durée : la médecine en visio-conférence a convaincu de nombreux établissements de soins qui envisagent de la faire perdurer, notamment pour réduire les coûts des consultations habituelles. Le télé-enseignement, mis en valeur depuis déjà plusieurs années, notamment par le Royaume-Uni, a achevé de convaincre ceux qui n’y voient qu’économie et facilité de gestion. Plus de risque de grève des enseignants dont les cours pré-enregistrés seront interchangeables à tout moment. Et ça permet de nier le seul intérêt de l’enseignement : l’échange et l’interaction entre l’apprenant et l’enseignant. C’est peut-être finalement donner corps au cynisme qui accompagne l’école depuis longtemps. Est-ce que l’après va continuer à nous dématérialiser ?
Les relations sociales ne se sont pourtant pas arrêtées avec la « distanciation sociale », évidemment. Nous avons continué à voir ceux qui nous sont le plus proche, nous avons entretenu les liens qui pré-existaient. Un repli sur soi, sur ce qui est connu et confortable. Une réduction de nos mondes, aussi. Ce qui a été le plus difficile à maintenir, c’est l’ouverture vers ce qui est autre.
« La disparition de l’espace public partagé correspond aussi, on s’en rend compte, à une disparition de la surprise. En temps de confinement, les algorithmes de la télévision à la demande se font les fournisseurs des films ou des séries préférées, tandis que les plats cuisinés choisis sont livrés au pied de la porte, sans même que l’on voit le visage du livreur. » [1].

A nous, maintenant, de penser le visage que nous voulons donner à cet « après ».
Peut-être nous faut-il partir d’une base qui affirmerait haut et fort, que cet « après », ce n’est pas celui des pouvoirs, des gouvernements, de l’Etat. Cet « après », cette « reconstruction », ça ne peut être que nous. Puisqu’en vérité la situation actuelle est prise en charge par bien d’autres que les Etats : par les bricolages des uns et des autres en contact permanent avec les risques pour s’en protéger, par le choix de se mettre en jeu pour que la situation soit respirable, par les réflexions collectives permanentes, qu’heureusement la fameuse « distanciation sociale » n’a pas arrêtées. Il y a aujourd’hui, des personnes qui mesurent ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas dans la vie sociale, pour qu’elle se protège et qu’elle continue.
Il pourrait par exemple être temps, maintenant, de penser autrement l’organisation, à d’autres échelles. Dans un village de Bretagne, une gazette du confinement est publiée chaque semaine : tous ceux qui veulent y contribuent, partagent leur vision, leur pensée, leur vécu du confinement et chacun la reçoit dans sa boîte aux lettres. En ville, ça pourrait être l’occasion d’organiser des assemblées de quartiers, où il est plus facile que chacun participe aux décisions.
Et parce qu’on ne sait plus finalement quand il y aura un « après », c’est dès maintenant qu’il nous faut trouver des formes pour vivre et lutter, non pas contre, mais malgré le virus.

Notes

[1Emmanuel Alloa, La contingence du virus

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