Faut-il reconnaître les porteurs d’oreillette comme dépositaires de l’autorité publique ?

Le 14 juin un syndiqué du Havre passait en procès à la cour d’appel de Rouen.

En juin 2016, Laurent Ponthieux avait été jugé en première instance au Havre, il était accusé de deux choses. D’abord d’avoir participé au saccage d’un local du PS le 12 mai 2016, ce pour quoi il a été condamné à six mois de prison avec sursis, dix-huit mois de mise à l’épreuve, et obligation de réparer les dommages commis au local du PS. Ensuite, il était accusé d’avoir outragé deux agents dépositaires de l’autorité publique, l’un relevant du ministère de la justice, l’autre policier. Il avait été relaxé de ce deuxième chef d’inculpation.

Le procureur du Havre a fait appel du jugement de juin 2016. C’était, comme l’a dit son homologue de Rouen, « une question de principe ». Le procès ne portait donc pas sur les faits pour lesquels Laurent a été condamnés, mais ceux pour lesquels il a été relaxé. Ni le parquet ni Laurent ne remettaient en cause la condamnation de première instance. Le procès visait donc à établir si Laurent avait intentionnellement insulté un policier.

Une cinquantaine de personnes étaient rassemblées devant le tribunal. La salle d’audience était plus remplie qu’habituellement. Quatre policiers sont rentrés dans la salle lorsque le tour de Laurent est venu, en début d’après-midi.

La juge lit le procès-verbal de synthèse. Selon lui, Laurent, en retournant vers sa voiture, aurait vu quelqu’un rôder autour d’elle, et l’aurait insulté de « enculé, bâtard, fils de pute » (personne n’était tout à fait certain que « fils de pute » avait été vraiment été dit, mais enfin, pour le procureur, « enculé, bâtard », ça suffit bien). Il se trouve que cette personne était un policier en civil, identifiable selon le procès-verbal et selon le procureur à son oreillette et à son brassard à la ceinture.

La question principale autour de laquelle a tourné le procès, c’était : est-ce que cette oreillette et ce brassard à la ceinture suffisent à identifier cette personne comme policier ? Le cas échéant, l’outrage est qualifié ou non.

Le procureur commence son réquisitoire avec une remarque sur l’âge du prévenu, d’une cinquantaine d’années. « Je ne sais pas depuis combien de temps il pratique la manifestation » dit-il, avant de se hâter de rectifier : « c’est pas une insulte, tout le monde a le droit de manifester. » Bon. Quant aux oreillettes, le procureur insiste que c’est tout à fait différent « des écouteurs que portent les jeunes ». Puis il se hâte de se rectifier : « ou les moins jeunes, d’ailleurs. » Quant au brassard, le procureur reconnaît qu’il ne savait pas que ça se portait à la ceinture, mais il se hâte de rectifier : c’est que ça doit se faire comme ça maintenant. Il faudrait donc appeler ça un ceinturard. Bientôt, peut-être qu’il faudra reconnaître les flics à leurs slibards.

L’avocat de Laurent, quant à lui, raconte le contexte de colère de cette sixième manifestation havraise contre la loi travail, juste après l’utilisation par le gouvernement du 49.3. Au début du procès Laurent avait tenté de l’évoquer, mais la juge l’avait coupé rapidement, parce que le contexte, vous comprenez, on le connaît, c’était dans les journaux. Mais l’avocat, elle l’écoute. Il la fait sourire même, en évoquant une contre-théorie de l’oreillette et du brassard. Si tous les porteurs d’oreillette étaient des policiers, les policiers seraient bien contents. Pour ce qui est du brassard, l’avocat a une version plus plausible que celle du procureur : le policier avait du l’enlever de son bras en cette fin de manifestation pour le ranger, et donc n’avait vraisemblablement plus l’intention d’être identifiable.

Au fond ce dont il s’agit dans ce procès en appel, le procureur l’a dit, c’est une question de principe. C’est le principe de la hargne policière, que l’on voit aussi en action à Rennes en ce moment.
Les flics ont envie et n’ont pas envie d’être reconnus. Hé, les flics, si vous nous tapiez dessus avec un peu plus de franchise, si vous arrêtiez de vous déguiser, on vous détesterait autant, mais on vous mépriserait moins.

Le tribunal rendra son jugement le 10 juillet.

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