Victoire pour Gabriel Dufils

Huit ans après le début d’un acharnement administratif contre Gabriel Dufils, paysan dans l’Eure avec sa compagne Tomomi, son combat intransigeant s’est conclu par une victoire. Huit ans de combat qui ont fini de démontrer la réelle ambition du système de traçabilité administrative, qui ne sert qu’à éliminer les fermes qui résistent à l’industrialisation.

Depuis le 24 juin 2011 et un contrôle illégal de la DDCSPP [1] sur sa ferme, les vaches de Gabriel Dufils ont été interdites de tout mouvement et privées de leurs papiers d’identité. Huit ans sans avoir d’autre droit que celui de soigner un troupeau qui s’est agrandi, passant de 4 à 18 bêtes, sur 4 hectares devenus bien étroits pour les accueillir et les nourrir.

Cette histoire démontre, comme celle de Jérôme Laronze – éleveur de Saône-et-Loire, assassiné par les gendarmes en mai 2017 à la suite d’un acharnement administratif similaire –, combien le système de gestion par les normes mis en place par l’administration agricole ne vise pas à garantir une quelconque sécurité sanitaire mais bien à industrialiser l’agriculture.

1- Un acharnement administratif pour éliminer une ferme hors des normes industrielles

Quand les contrôleurs de la DDPP débarquent sur sa ferme en 2011, ce ne sont pas seulement les 3 boucles qui manquent aux oreilles de 3 velles qui déchaînent un acharnement à son encontre. Ce qui saute aux yeux de ces fonctionnaires d’État, c’est surtout une ferme diversifiée où se côtoient oies, poules, moutons, vaches, fruits, légumes, cidre, jus de pomme, soja, blé panifiable, etc. : un véritable pied de nez au système industriel ultra-spécialisé, dont ils se posent en garants. Ils en ont perdu leur latin procédural, incapable d’y reconnaître ce qu’ils nomment habituellement « exploitation » et « chef d’exploitation ».

Malgré soixante ans de modernisation administrative et industrielle, il existe encore une ferme et un fermier dans l’Eure.
La ferme de La Sentelle est une insulte au volontarisme d’État qui consiste à éradiquer la paysannerie et tout ce qu’elle porte d’autonomie et de liberté.
L’administration ne pouvait également considérer que comme une anomalie suspecte le fait que depuis des années les vaches de Gabriel donnaient naissance à des femelles dans 80 % des cas. Il était impossible pour ces fonctionnaires de considérer ce résultat comme le résultat d’un savoir-faire paysan là où les laboratoires de génétique animale s’échinent avec des moyens technologiques et financiers démesurés à obtenir des résultats guère plus probants [2].

Au contraire l’administration n’a voulu nourrir que ses soupçons de commerce illicite de veaux. Les agents ont bien failli s’étrangler devant sa fromagerie fermière construite avec peu de moyen mais ô combien efficace, et dont les apparences font scandale face aux injonctions hygiénistes dont ils sont les promoteurs invétérés pour s’assurer qu’il ne reste plus sur le marché que des fromages insipides de Qualité industrielle.
Plus surprenant encore, ils sont tombés sur des paysans qui ne se soumettent pas. Pire même, des paysans qui ont eu l’affront de se défendre de l’administration sur son terrain, celui du droit, et de gagner devant les tribunaux.
Des paysans qui s’entêtent à défendre la légitimité et la loyauté de leurs pratiques, des paysans qui dénoncent la supercherie du système d’identification-traçabilité au service des intérêts de l’industrie agro-alimentaire.
L’acharnement que Gabriel Dufils a subi contre lui ne relève pas seulement du zèle d’un fonctionnaire ou d’une procédure administrative froide et implacable. C’est d’abord une attaque politique contre un modèle de petite ferme familiale de production alimentaire locale, libre et hors des normes industrielles.

2- L’administration démontre elle-même l’absurdité de ces propres normes de traçabilité

Après le constat d’anomalie lié aux 3 boucles manquantes sur 3 jeunes génisses en 2011, la procédure administrative normale consistait, après vérification des documents, à apposer les boucles ; chose qui se fait couramment sans qu’il n’y ait matière à scandale, et qui, dans le cas de Gabriel, lui a été refusée.

C’est l’une des nombreuses irrégularités de l’administration dans cette affaire. Ce choix de sa part montre bien qu’elle voulait étrangler la ferme de la Sentelle et en aucun cas la régulariser.
Gabriel a beau avoir posé ces boucles lui-même aussitôt après le contrôle, rien n’y a fait.
À la bonne volonté a été opposée la volonté de nuire d’une administration consciente des intérêts industriels qu’elle défend.

Le système d’identification, en France et en Europe, repose sur des formulaires, des cartes, des passeports, etc. Mais plus centralement encore, il repose sur les déclarations faites par les éleveurs à l’administration concernant les naissances et tous les mouvements d’animaux, à l’arrivée et au départ d’une ferme. Le système est entièrement basé sur ces déclarations, que l’administration peut venir vérifier à tout moment. Dans le cadre de la procédure imposée aux éleveurs, l’administration n’a aucun moyen légal de mettre en doute leurs déclarations.

Arbitrairement, dans le cas de Gabriel, à partir de 2011, l’administration a considéré, sans contrôle et illégalement, toutes les déclarations de naissance comme suspectes et a bloqué pendant huit ans tous les papiers d’identité des veaux issus des 3 vaches après 2011.

Elle a fait ici la démonstration qu’elle décide à sa guise et arbitrairement d’appliquer ou non la loi.
Maints exemples montrent que, quand par hasard le système de traçabilité épingle des fraudes commises par de grands groupes agro-alimentaires, les administrations étouffent les affaires [3]

Face à cette supercherie, il ne s’agit pas pour nous de défendre un système d’identification-traçabilité plus « fiable ». Tous les moyens technologiques au service d’une société totalitaire n’empêcheront pas les fraudes, et surtout n’empêcheront pas le modèle industriel de prospérer. Au contraire.
Nous voulons dénoncer un système de traçabilité qui ne sert qu’à fabriquer une confiance artificielle auprès de consommateurs qui auraient tant de raisons d’être dégoûtés par la Qualité industrielle des productions alimentaires.
La seule traçabilité qui vaille – mais il s’agit alors d’autre chose – c’est le rapport direct entre producteurs et mangeurs. Le reste n’est que mensonge publicitaire mis en scène par l’administration au service de l’industrie agro-alimentaire.

3- L’administration s’assoit sur ses propres lois

Dans cette affaire, en huit ans, outre la démonstration de l’aberration du système de traçabilité, l’administration a fait preuve d’un volontarisme forcené pour enfreindre les lois dont elle est la garante : rétention de documents, non-application des décisions du Conseil d’État, prélèvements génétiques illégaux sur les vaches, interprétation frauduleuse des résultats, dissimulation des résultats, courriers avec accusés de réception qui disparaissent, déclarations diffamatoires, mise en danger de la santé des animaux et de paysans par le blocage arbitraire du troupeau, etc.

L’acharnement n’est pas un « vice de procédure », c’est une pratique habituelle que l’administration s’autorise, au mépris de la loi, pour arriver à ses fins.

4- Pour des solidarités collectives hors de la cogestion syndicale

La victoire contre l’administration, marquée par la restitution des cartes d’identité de toutes ses vaches, en ce début du mois de mars 2019, Gabriel la doit avant tout à sa ténacité et à la certitude inébranlable d’être légitime et juste dans ses pratiques paysannes.

Cette victoire est aussi celle d’une solidarité enclenchée à l’été 2018 par le collectif d’agricultrices et d’agriculteurs contre les normes.

Alors que tous les syndicats, tous pris dans le système de cogestion des politiques agricoles avec l’administration, étaient occupés à défendre la traçabilité, nous avons tenté de perturber le travail de sape de cette administration en occupant la DDPP d’Évreux le 17 octobre 2018. C’est cette action qui a manifestement poussé la préfecture à reprendre le dossier en main et à regarder de plus près l’illégalité de l’acharnement dont a été l’objet Gabriel. Nous n’étions que 80 lors de cette occupation, mais son résultat doit nous convaincre que ce type de rapport de force est le seul chemin empruntable pour sortir du sentiment d’impuissance qui étouffe les campagnes.

Dans la situation de surcharge de travail imposée par le blocage administratif du troupeau de vaches, ce que la solidarité collective a également pu apporter c’est des coups de main sur la ferme.
Avec ces pratiques, nous entendons reprendre les luttes paysannes là où elles se sont arrêtées quand tous les syndicats ont accepté de devenir des rouages d’une administration qui a toujours besoin de cautions pour poursuivre son travail d’élimination de la paysannerie et de promotion de la Qualité industrielle estampillée « bleu-blanc-rouge ».

Quant à la traçabilité, l’affaire doit enfin être entendue : ce sont les industriels qui ont besoin de la régulation d’une administration pour fabriquer une confiance artificielle auprès des consommateurs et faire passer la merde industrielle pour des produits de haute Qualité.

Pour notre part, nous n’avons pas à avoir honte de nos produits et notre plus belle reconnaissance provient de celles et ceux qui mangent nos produits et en redemandent.

Le Collectif d’agricultrices et d’agriculteurs contre les normes
Le 31 mars 2019

Notes

[1Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations, anciennement dénommée « services vétérinaires ».

[2En favorisant le calcium et le magnésium au détriment du potassium et du sodium dans l’alimentation, et particulièrement au moment des chaleurs, les spermatozoïdes femelles seraient favorisés, pour connaître l’explication, adressez-vous à dieu en attendant une explication humaine. Le moment de l’insémination aurait aussi son rôle à jouer dans la mesure où les spermatozoïdes mâles sont plus rapides mais moins résistants, désolé pour les tenants de l’égalitarisme ; déjà à ce stade, nous sommes tous plus ou moins forts. Donc les premiers arrivés seront déjà morts avant l’arrivée du bel ovule si l’insémination a eu lieu assez tôt. Voilà pour les principes, après il faut mettre en pratique, ce n’est pas toujours facile, mais depuis vingt-cinq ans, Gabriel y est parvenu en continu et assez bien. Les dix dernières naissances : 8 femelles et 2 mâles.

[3Voir comment la DDPP des Côtes-d’Armor a tenté d’étouffer en 2018 l’affaire d’une livraison d’aliments pour vaches contaminés avec des antibiotiques interdits fournis à un éleveur par le groupe industriel Triskalia ; avortement, saignements de nez intempestifs, lait contaminé aux antibiotiques, etc., auront fait dire à l’administration devant l’éleveur : « Si l’on devait chaque fois s’inquiéter de ce genre d’affaire... ».

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