14 juillet 1953, la police tire : 7 morts, 50 blessés

Alors que le 14 juillet 2020 a été marqué par différentes protestations de la part des gilets jaunes, des soignants et syndicats, et par une banderole volante qui a nargué Macron dans des Champs Elysées devenus bunker interdit au public. Une action qui mena à l’arrestation de deux soignants.
Il nous a semblé important de revenir sur le 14 juillet 1953, une histoire peu connue qui illustre bien la réelle fonction de la police encore aujourd’hui.

Ainsi, une manifestation anticolonialiste est organisée le 14 juillet 1953, appelée par les organisations pour l’indépendance de l’Algérie, La CGT et Le PCF. Du côté de la préfecture de police de Paris des consignes avait été données : Aucune banderole ou pancarte, dont l’inscription (en langue française ou étrangère) aurait un caractère injurieux tant à l’égard du gouvernement ou de ses représentants que d’un gouvernement étranger ou de ses représentants, ne pourra être portée par les manifestants.
Aucun cri ou aucun chant séditieux ne devront être prononcés
. Ou comment encadrer au maximum la contestation.

[…] Jusqu’à la place de la Nation, il n’y eut pas d’accrochages avec les forces de l’ordre, mais les manifestants furent attaqués par des parachutistes retour d’Indochine en permission à Paris. Ces derniers, après quelques escarmouches à l’entrée du faubourg Saint-Antoine avec des membres du PCF, avec qui ils se coltinèrent à nouveau en soirée, se heurtèrent aux militants du PPA-MTLD. La bagarre dura une vingtaine de minutes et tourna à l’avantage des Algériens. Six parachutistes ayant participé aux échauffourées furent emmenés dans les hôpitaux avoisinants. Les autres soldats impliqués furent reconduits à leur cantonnement de la porte de Versailles par des cars de police. […]

C’est à partir de 17 heures et sur la place de la Nation que la journée prit un tour dramatique. Les archives de police consultées laissent transparaître le caractère subit et imprévu de l’événement, ainsi que la volonté ultérieure d’en donner une interprétation qui dédouane les forces de l’ordre. Dès la dispersion définitive de la manifestation, les rapports des différents commissaires de police engagés dans ce maintien de l’ordre privilégièrent « l’interprétation émeutière délibérée ». Ils tentèrent d’accréditer la thèse de la légitime défense que tous les échelons hiérarchiques de la préfecture de police souhaitaient imposer. […]

Jusqu’à 17 h 30, sous une pluie battante qui contribua à augmenter la confusion, la place de la Nation, abandonnée par les organisateurs du défilé qui avaient quitté la tribune officielle, fut transformée en champ de bataille. Environ 2 000 Algériens, épaulés par quelques manifestants métropolitains – l’immense majorité d’entre eux s’étaient déjà dispersés ou avaient reflué –, prirent un temps le dessus sur les forces de l’ordre. Les barrières en bois installées place de la Nation à la demande des organisateurs furent brisées et servirent de projectiles ou de matraques, une vingtaine de véhicules de police furent endommagés dont au moins deux incendiés. Dans l’attente de renforts, les forces de l’ordre massées dans le cours de Vincennes se replièrent dans les rues adjacentes. Ces renforts arrivèrent principalement des boulevards de Charonne et de Bel Air. Ils prirent les manifestants à revers dans une manœuvre dont on peut imaginer la violence réciproque. Ils réussirent à traverser une place de la Nation jonchée de débris et de corps de manifestants tués ou blessés par des tirs qui furent particulièrement nombreux et nourris. À 17 h 30, le calme était revenu et à 18 heures, la place de la Nation était dégagée. Des groupes de gardiens continuaient cependant de poursuivre, notamment grâce aux informations de passants, les manifestants, souvent blessés, qui étaient allés se réfugier dans des immeubles des rues adjacentes.

Le bilan humain laisse peu de doute quant à l’usage différencié de la force par les deux groupes en présence : d’après le bilan officiel de Ia préfecture de police, au vu des blessures déclarées – 16 gardiens furent hospitalisés à la suite de la manifestation, une cinquantaine « cessèrent le service »– l’immense majorité des Algériens étaient armés des seules « armes par destination » que constituèrent les manches de banderoles et les barrières cassées. Entre trois et cinq gardiens furent cependant superficiellement blessés par des « objets tranchants », sans doute des couteaux. Si cette arme avait été aussi massivement employée que le suggèrent certains rapports, le bilan aurait été tout autre. […] Il reste qu’une dizaine de gardiens furent grièvement blessés – un fut trépané –, victimes de traumatismes crâniens et faciaux, occasionnés par la violence de coups répétés portés par les manifestants à l’aide d’objets les plus divers (morceaux de ciments, etc.).

Du côté des manifestants, le lourd bilan des blessés (50 dont 44 Algériens, d’après les états de la préfecture de police) est sans doute très largement sous-estimé : certains médecins hospitaliers étaient réticents à répondre aux injonctions de la préfecture de police et des blessés préférèrent ne pas se rendre dans les hôpitaux plutôt que de risquer d’y être arrêtés. Les sept morts et les 40 blessés par balles recensés témoignent cependant de l’usage massif des armes par les forces de l’ordre. […] [1]

« Si leurs yeux avaient été des mitraillettes, nous aurions été tués »

déclara le ministre de l’interieur, Léon Martinaud-Délplat quelques jours après la manifestation, lors d’une séance à l’assemblée, avouant ainsi que les manifestants n’étaient pas armés.

L’esprit colonial de la police est perceptible chaque jour dans les rues et dans les quartiers. Les morts racisés qui se comptent par dizaines ces dernières années montrent bien qu’il n’y a pas eu d’évolution parmi les forces de l’ordre. Ces dernières semaines ont été ponctuées par des rappels douloureux et violents de la situation : la mort de George Floyd qui fait écho à celle d’Adama Traoré notamment, et les sinistres enregistrements de la police de Rouen que vous pouvez écouter ici.

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