Appel à ne pas déserter - Récit d’un moment de solitude sur les Champs-Élysées

Après la journée de Samedi (24 novembre 2018), les quelques un·e·s que nous étions à participer au mouvement sommes rentré·e·s avec un mélange de fascination et d’amertume. Prolongeant ce qui a déjà été décrit dans Lundi Matin la semaine dernière, le mouvement a confirmé sa puissance mobilisatrice, faisant preuve d’une détermination qui n’a rien à envier aux cortèges de tête les plus ambitieux. Alors que plusieurs comptes rendus et appels à se mobiliser avaient été relayés par les groupes de nos ami·e·s de l’ultra gauche, nous avions donc de bonnes raisons de penser que nous serions un certain nombre à être présent·e·s. Pourtant, nous nous cherchons sans succès, et nous sentons finalement très seul·e·s. Nous ne comprenons pas cette absence, et parce qu’il nous semble que le mouvement qui se crée n’est pas qu’une simple mobilisation appelée à mourir avec les vacances de Noël, parce que son ampleur implique non seulement un enjeu colossal, mais aussi une responsabilité de chacun·e·s d’entre nous de s’en saisir, nous désirions revenir sur notre expérience de la journée.

La matinée - Entre effervescence et White riots

Après avoir rejoint les Champs-Élysées, nous sommes tiraillé·e·s entre l’enthousiasme de retrouver la force collective que le mouvement avait fait éclater samedi dernier, et les manifestations d’un ressenti nationaliste qui s’expriment, ici et là, plus ou moins explicitement. Nous craignons en nous le mépris que nous blâmions pourtant chez certains camarades militant·e·s, alors confus·e·s de ne pas parvenir à discerner certains manifestants en gilets jaunes des militants de l’extrême-droite constituée. Nous ne savons pas si - en effet -, “il y a plein de fachos”, ou si la composante nationaliste du mouvement est simplement – tristement - représentative du ressenti populaire dans un contexte de déprise économique et de matraquage médiatique de la « question migratoire ».

Dès le début de la matinée, vers 9h30, la foule est gazée au niveau du rond-point Franklin D. Roosevelt. Presque aussitôt, les manifestants de la première ligne ripostent. Nous constituons les premières barricades de la journée à l’aide des quelques barrières de chantier disposées aux quatre coins du rond-point. Alors, commence un long jeu d’allers et retours durant lequel la police peine à remonter les Champs-Élysées. Assez vite, des barricades plus sérieuses se constituent et nous sommes absorbé·e·s par l’efficacité avec laquelle les manifestant·e·s parsèment l’avenue d’obstacles. Si aux premières salves de lacrymo certain.e.s fustigent la présence de casseurs, appellent à la fraternisation des CRS et critiquent ceux qui s’attellent à dépaver la chaussée, une demi-heure après, le ton est radicalement différent. Les injures et l’indignation ont remplacé les « policiers avec nous », avec ou sans masque, jeunes et moins jeunes, mais tout.e.s en gilets jaunes construisent des barricades de fortune avec frénésie et acclament les pavés qui touchent leur cible. Oubliant nos doutes de l’heure précédente, nous nous affairons dans cette émeute enivrante, courant ici et là, relançant comme tout le monde les palets de gaz et acheminant les pavés déterrés au niveau de blocs de béton de plusieurs centaines de kilo disposés en lignes au milieu de la rue.

Puis nous réalisons que, au sein des émeutier·ère·s avec lesquels nous partageons la rue, beaucoup appartiennent au camp adverse. Et s’il a été montré par ailleurs la puissance révolutionnaire du mouvement, nier la présence de l’extrême droite serait une erreur. Fort heureusement, le reste de la journée est très différent, mais les affrontements de la matinée sur les Champs-Élysées sont largement animés par des groupes comme l’AF ou par des anciens du GUD. Alors que nous réalisons l’ampleur de leur présence, et qu’un·e de nous voit l’un d’eux alpaguer un homme racisé en lui hélant « alors, même les bicots sont avec nous ! » et lui demandant d’affirmer qu’il “aime la France” devant sa caméra, nous sommes très vite refroidi·e·s. Le mythe de l’émeute populaire et universaliste dans lequel nous étions projeté·e·s un moment s’écroule. A part quelques camarades qui étaient venu·e·s de Province car “il y avait quelque chose à jouer”, de beaux tags et plus tard un joli A cerclé sur une caravane brillamment renversée en plein milieu de l’avenue, nous ne reconnaissons pas de compagnon·nne·s de nos luttes. Si les camarades de la meute assurent la présence de « nombreux racisés » et dressent un portrait optimiste des émeutier·ère·s en jaune, cette version ne colle pas à nos observations : contrairement à la semaine dernière la foule est blanche dans sa quasi-totalité. Nous peinons à trouver signe du front antiraciste annoncé sur facebook, et ne discernons pas les “gilets rouges et noirs” que certains ont appelé de leurs vœux avant samedi. Peut-être étaient-iels présent·e·s, mais l’ambiguïté est trop forte, et nous n’arrivons pas à nous résigner à l’idée de faire passer des pavés à des fafs. Comment une telle ambiguïté est-elle possible ? Comment se fait-il que nous nous soyons senti·e·s minoritaires ? Était-ce simplement l’heure matinale ? Toujours est-il que projeter nos fantasmes sur la journée de samedi ne les empêchera pas de gagner du terrain.

En deçà du ras de bol fluo, l’au-delà de la lutte révolutionnaire

Que fait la gauche révolutionnaire ? La révolte populaire ne se fera pas sans les classes populaires, et ces dernières s’indignent contre l’injustice des prélèvements ; c’est vrai, nous avons vu peu de banderoles ou de chants s’attaquant au capitalisme, au patriarcat et au racisme d’état. Les gens qui défilent dans les rues de Paris lancent plutôt leur rage face à la classe politique, crient aux automobilistes mécontent·e·s l’intolérabilité de leur condition économique, accusent la dictature et dénoncent le règne des riches. Cette indignation collective face aux oppressions hyper-individualisées qui caractérisent le marché du travail aujourd’hui n’est-elle pas déjà une victoire ? Mieux, n’est-elle pas le point de départ nécessaire ? Les gilets jaunes venu·e·s de province se rencontrent, échangent, un sentiment d’appartenance collective se forme et la colère devient possibilité. Cette trajectoire, n’est-elle pas celle de la constitution d’une conscience de classe ?

Pour autant, l’insurrection ne se fera pas forcément en dehors du fascisme. Les “on est chez nous” des militants d’extrême droite sont de trop, et même si nous présentons que cela signifie simplement pour certain·e·s que la rue est appropriée par le “peuple”, ces tentatives d’ancrer la pensée fasciste sont trop dangereuses pour que nous les laissions s’imposer. Au risque de réitérer des avertissements déjà lancés, déserter ce mouvement laisserait la voie libre à la pire des insurrections. Avant même de l’investir de quelconque grille de lecture intellectuelle, il importe de se constituer comme groupe, dans la pratique, dans l’émeute et dans l’entraide qu’elle suppose. C’est dans la pratique qu’apparaît la possibilité d’un autre fonctionnement politique ; et c’est à travers elle que nous construirons un autrement révolutionnaire.

(...)

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