Après vous, dans le jour d’après

Nous y voilà donc, c’est l’après. Nous allons faire le grand saut officiellement lundi. Le moment tant attendu où plus rien ne pourra être comme avant, s’entasser dans les transports, dans les embouteillages, rejoindre ceux qui ont dû rester en première et deuxième ligne...

On va recommencer, le jour même ou dans les jours à venir, un inexorable retour à « la normale » qui ressemble de plus en plus à une dystopie croisée de tous les romans d’anticipation au fur et à mesure que le plan du déconfinement est devoilé.
« Les jours heureux » ne nous sont définitivement pas destinés.
Reconfiguration de l’organisation sociale : après les appels au sacrifice, à la guerre, nous voilà appelés à la reconstruction, du monde d’avant ou pire, celui d’après. Profitant de la crise sanitaire, le gouvernement français comme de nombreux gouvernements, a utilisé la situation pour réformer le code du travail : travail jusqu’à 60h par semaine, temps de repos réduit et plus de rtt, évidemment. Les rassemblements seront toujours très limités, encore plus qu’avant, le pouvoir policier définitivement renforcé. Les nouvelles technologies sont democratisées et la surveillance est mise à la disposition de tous.

Le déplacement du lieu de travail du bureau à la maison pendant le confinement a permis au capital de se perfectionner, supprimer les postes qu’il juge inutile, optimiser, économiser.
Dans son livre Never Let a Serious Crisis Go to Waste (2013, non traduit), Philip Mirowski, philosophe américain de la pensée économique, explique que les crises focalisent notre attention sur des problèmes urgents de court terme à gérer, permettant aux néolibéraux mieux organisés de mettre en place le modèle de société qu’ils souhaitent : un marché moins régulé, devenu une institution autonome. Interviewé par Libération le 28 avril, il prend également l’exemple de l’éducation : « les néolibéraux ont aussi toujours été hostiles à l’éducation pour tous. Ce confinement général, associé au fait de transférer l’éducation en ligne, fait exactement ce qu’ils souhaitaient : les étudiants sont très inégaux face à l’éducation à distance, certains sont dans de bonnes conditions pour étudier et peuvent se faire aider, d’autres non. Ainsi, seuls ceux qui ont le plus de moyens peuvent avoir accès à une éducation de bonne qualité. »

Ne nous y trompons pas, le capitalisme a continué de se déployer de manière sale pendant cette période alors même qu’on encense les prises de conscience.
Les personnels hospitaliers continuent notamment de recevoir des dons de nourriture de tous les grands noms de l’industrie alimentaire, qui se sont contentés au début de leur distribuer les invendus et qui maintenant imposent aux équipes des hôpitaux de poser avec les produits, il ne faudrait pas laisser tomber le potentiel marketing de l’opération...

Des soignants remercient Ferrero au CHU de Rouen

Une prise de conscience pour un autre monde, après ?

On a envie d’y croire, la prise de conscience a été telle, 200 personnalités/artistes français et américains écrivent une tribune pour le dire (« Non à un retour à la normale » : de Robert De Niro à Juliette Binoche, l’appel de 200 artistes et scientifiques), le monde d’après ne peut pas être le même.

Images du 1er mai 2020

Les textes d’ailleurs se sont multipliés pour dire qu’on respire à nouveau, qu’en fait, la transition écologique c’est pas tant un fantasme, c’est là, on la touche du doigt...
Mais Philip Mirowski nous le rappelle : « Il ne faut pas s’imaginer que les néolibéraux ne croient pas au changement climatique. S’ils ont semé la confusion dans le débat après 2008, c’était simplement pour gagner du temps pour s’approprier les investissements écologistes [...]. Tant que la solution passe par le recours au privé, cela convient à une vision néolibérale de la société. »
Il est donc là le bouleversement écologique qui arrive.

Les luttes n’ont pas pour autant arrêté pendant cette période et ceux qui luttent de s’organiser. C’est sans doute de ce côté alors qu’il faut continuer à s’appuyer pour l’après.
Que les groupes estampillés « COVID-entraide » continuent à être des moyens de s’échanger les informations qui permettent de ne pas juste dépendre de l’Etat, que les collectifs créés pendant le mouvement contre la réforme des retraites et ont perduré pendant cette période étrange du confinement continuent à s’organiser, que les Gilets Jaunes maintiennent un niveau d’offensivité tel que ce qui tente de nous écraser échoue, c’est ce qu’on peut envisager de mieux comme sortie de confinement...
Vous pouvez lire dans La Gazette des confiné.es #12 des pistes pour y réfléchir aussi.

Plusieurs articles en ont déjà parlé ici, il faut dorénavant vivre avec la maladie, sans laisser l’Etat écrire le mythe d’une vie sacrificielle et constamment dangereuse s’Il ne nous sécurise pas.

On sait déjà que les classes ne rouvriront pas le 11 mai, contrairement à ce qui était annoncé (vous pouvez trouver ici une carte créée par les "stylos rouges" des communes où ce n’est pas le cas), le retour au travail n’est donc pas si évident...

C’est l’occasion de revoir La reprise du travail aux usines Wonder, un documentaire du 9 juin 1968 : lorsque des étudiants à l’IDHEC (école de cinéma) se présentent dans la matinée à l’entrée de l’usine Wonder pour filmer son occupation depuis trois semaines par les ouvriers, ceux-ci viennent de voter la reprise du travail. Une jeune femme refuse de rentrer. Elle crie : « Je ne rentrerai pas, non je ne rentrerai pas », « Je ne veux plus refoutre les pieds dans cette taule dégueulasse ». Autour d’elle des ouvriers s’attroupent. Les délégués syndicaux, artisans de la reprise, s’approchent et tentent de la calmer. Un étudiant de passage met de l’huile sur le feu. (Pour plus d’éléments, voir ici)

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