Ça casse où ça passe

Avec ses nouvelles mesures « anti-casseurs », Edouard Philippe tente de polariser les débats autour de la violence des gilets jaunes. Pour conserver notre force, rappelons-nous qu’un mouvement n’est jamais aussi fort que dans la pluralité de ses modes d’action.

En faisant de la violence l’élément central de leur nouvelle communication, le gouvernement tente de nous faire avaler une belle couleuvre. Le mouvement se radicaliserait en même temps qu’il s’épuise, les gilets jaunes pacifiques se faisant progressivement déborder par des groupes extrémistes et violents. On serait tentés de sourire face à cette grossière manœuvre de semer le trouble au sein du mouvement quand on se remémore la chronologie de ces deux derniers mois. Dès l’acte 2, les premières barricades se dressent dans Paris. A l’acte 3, une préfecture brûle, des péages s’effondrent et la capitale ne désenbrume pas des nuages de lacrymo. Après l’acte 4, de l’aveu même de la mairie de Paris, les dégâts matériels sont plus importants que la semaine passée. Des policiers sortent leurs armes face à la foule à l’acte 6… C’est une évidence, la violence n’est pas un élément nouveau de la mobilisation. Bien au contraire elle en est un élément constitutif depuis le début et il est indéniable qu’elle a joué un rôle majeur dans sa montée en puissance.

Qui aurait pu imaginer il y a encore quelques mois voir Paris devenir ville morte pendant deux week-end de suite en plein mois de décembre ? Des discours de ministres marqués par la peur ? Que le débordement des flics force le gouvernement à modifier totalement leur dispositif de maintien de l’ordre ? Macron tenter d’éteindre le feu en urgence avec des semblants d’annonce ?

Notre but ici n’est pas d’ouvrir un débat sur la violence comme méthode de lutte, juste de rappeler factuellement que si toutes ces scènes inédites se sont déroulées, c’est précisément parce que le mouvement des gilets jaunes, bien qu’il soit traversé par des modes d’action différents, n’a jamais été, depuis le 17 novembre, un mouvement pacifiste. C’est au contraire dans son refus de s’incarner à travers une position unique qu’il a construit sa force.

Dans la période qui s’ouvre, il est primordial de ne pas se laisser berner par les discours du gouvernement et de ne pas céder à ceux qui disent que les actes de casse ou les attaques contre le mobilier urbain décrédibilisent le mouvement ou le coupe d’un soutien populaire. Nous sommes légitimes de faire ce que nous faisons car nous répondons. Nous usons ponctuellement de la violence car nous l’opposons à une violence structurelle. A la violence d’un Etat qui accompagne un appauvrissement généralisé, qui laisse des exilés se noyer dans l’océan, qui marginalise ceux qui n’ont pas leur place dans la start-up nation et qui n’hésite pas à mettre ses lycéens à genou ou à mutiler sa population quand elle commence à gronder.
Pouvons nous réellement croire que le soutien aux gilets jaunes fait défaut quand en 48h, la collecte en soutien à Christophe Dettinger atteinte les 150 000 € et qu’il faut l’intervention d’une ministre pour la stopper ? Penser que nous serions plus forts en canalysant nos modes d’action est erroné puisque plus de la moitié des français soutient encore le mouvement, donc dans sa forme actuelle c’est à dire dans sa diversité.

Lors du dernier acte, une manif parisienne a décidé de se déclarer en préfecture. On commence à entendre des tentations de suivre cet exemple, renforcées par la volonté d’Edouard Philippe de durcir la répression contre les manifs sauvages. La mise en place d’un service d’ordre pour contenir la casse « irréfléchie » a pu être évoquée. Il nous semble primordial d’exposer ici en quoi céder à la tentation de légalisation des manifestations serait une erreur stratégique et politique dans la situation actuelle.
Alors que le mouvement s’est toujours refusé à se doter de représentants, déclarer les manifestations en préfecture reviendrait à désigner des interlocuteurs vis à vis des représentants de l’État et à figer la forme de la manifestation là où précisément la force des derniers actes reposait sur la mobilité de la foule et sa capacité à se reformer un peu partout à tout moment. Nous devons à tout prix éviter de jouer la partition du gouvernement qui attend par ce biais qu’on lui serve sur un plateau la justification des interventions policières en identifiant d’un côté les vrai gilets jaunes et de l’autre les manifestants illégitimes. Ce n’est pas un hasard si Edouard Philippe dans son intervention à TF1 a fait de la manif parisienne déclarée un exemple d’évènement pacifique et lieu d’expression légitime de la colère.

Le risque serait de tomber dans un processus nombriliste qui consisterait à déterminer les violences acceptables et celles qui ne le sont pas. Ne cherchons pas à déterminer quelle casse est tolérée et laquelle est irraisonnée. Tout acte de casse est un acte politique, on le comprend ou on ne le comprend pas.

« La question n’est pas de savoir quelle sera l’arme mais dans quelle esprit elle sera utilisée » H.D. Thoreau

Même quand on parle d’attaquer des « symboles », il y a toujours des gens pour s’en offusquer pour autant on décide quand même de le faire. Dans un mouvement qui revendique son hétérogénéité et sa spontanéité il serait dramatique de mettre en place une espèce de milice des bonnes actions qui décident des violences tolérées ou non.

En définitive, l’essentiel est de continuer à affronter ensemble la situation en acceptant la pluralité des actions et de consacrer notre énergie à imaginer des initiatives qui correspondent à chacun plutôt que de la dilapider à tenter de les réguler. Rappelons nous qu’il y a un an quasiment jour pour jour, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes aétait enterré sous les assauts conjoints des naturalistes et leurs promenades, des juristes et leurs rapports, des zadistes et leurs barricades.

Faire rentrer la manif dans la légalité serait une défaite pour le mouvement des gilets jaunes, né de la colère d’une masse de personnes qui se doit aujourd’hui de rester coûte que coûte solidaire sur les différentes manières de l’exprimer, sans aucun dispositif de contrôle.

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