D’abord apparu sur les rond-points de toute la France, là où personne n’aurait imaginé faire une manifestation, surout en plein hiver ; le mouvement organise par les réseaux sociaux des rassemblements sur ces lieux improbables et commence par démontrer une intelligence collective spontanément tactique : les rond-points desservent des zones commerciales ou industrielles, la ville. Ils sont le lien, le nœud : les bloquer c’est tout bloquer économiquement, c’est bloquer un nombre de flux bien plus important que ce que l’on imagine d’abord. Ces moments sur les rond-points et dans les manifestations quotidiennes ont permis de nous tenir ensemble, permis de ne plus retourner à une certaine réalité écrasante pour des dizaines de millier de personnes. Pour beaucoup le mouvement des Gilets Jaunes est un aller sans retour pour l’instant, une experience, une drogue dont on ne veut pas redescendre.
Etre Gilet Jaune c'est être un opposant au gouvernement, à ce régime, au même titre qu'à Hong Kong.
Une des tendances fortes qui se dégage du mouvement, c’est la volonté affichée de la destitution. C’est après les premières journées passées ensemble à se demander ce qu’on faisait là qu’est apparue logiquement la volonté de dégager ceux qui prétendent nous gouverner, d’aller les chercher là où ils se trouvent et de les sortir, quand bien même ce serait à l’Elysée. Les manifestations du 24 novembre et des 1er et 8 décembre à Paris ont exprimé cette volonté. La police alors, complètement dépassée par les évènements, avait partiellement perdu le contrôle de certains quartiers de Paris, provoquant un changement de préfet de police, le retour précipité de Macron (qui était en voyage en Argentine) et dans les semaines suivantes un changement de doctrine du maintien de l’ordre. Les principales conséquences de ce changement ont été de faire le plus de blessés possible ainsi que de procéder à des arrestations de masse, de bloquer des cars de Gilets Jaunes qui venaient aux manifestations parisiennes, de ficher à grande échelle ou encore de délimiter des zones d’interdiction de manifester dans de nombreuses villes. L’adversité imposée par l’Etat n’a finalement pas affaibli les Gilets Jaunes même si elle a eu un impact : clairement, être Gilet Jaune c’est être un opposant au gouvernement, à ce régime, au même titre qu’à Hong Kong par exemple. Paradoxalement, nos médias nationaux ne traitent pas le Black Bloc de Hong-Kong de la meme façon que sont homologue francais ! La volonté est pourtant la même, partout dans le monde, de pouvoir reprendre en main ses possibilités de décider.
Quoiqu'il arrive à partir de maintenant, ce mouvement ne pourra plus être une défaite.
Cette adversité et la durée de cette lutte n’ont finalement fait que nous renforcer en tous points dans le lien social que nous avons recréé, par des aspirations communes qui se sont mises à exister, par la multitude de gestes que nous avons découvert ensemble et que nous avons diffusé.
Quoiqu’il arrive à partir de maintenant, ce mouvement ne pourra plus être une défaite : il nous a déjà trop bouleversé. Ce mouvement est la plus grande opportunité, qu’on attend depuis trop longtemps, de changer la direction du présent.
Une prise de conscience nous a jettés dans la rue, celle que nous étions les seuls à pouvoir changer les choses, pas un élu, pas un autre. Ce bouleversement doit continuer, car si non nous qui d’autre ?
Il faudra une bonne dose d’imagination pour continuer, parfois du thermos, des pansements. On va parfois pleurer, perdre espoir, se fâcher, être arrêtés puis peut-être basculer nos vies, nos aspirations communes. Pas en une nuit, évidemment, par à-coups, avec les liens, les espaces libérés, l’imaginaire de ce que l’on créé ensemble. Être Gilet Jaune c’est avant tout ne pas abondonner l’idée que ce monde n’a plus d’avenir, qu’un bouleversement total et radical est la seule issue.
photos : Marin driguez
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